Le constat est sans appel : les lecteurs se font de plus en plus rares, donc, conséquence logique, de moins en moins de livres se vendent. Que de désillusions en perspective ! À force de ne plus lire, nous ne saurons bientôt plus écrire. Notre langue elle-même s’appauvrira et, qui sait, notre seul recours – pour communiquer – deviendra monosyllabique ou « émoticônique ». La faute à quoi ? À nos vies où le temps alloué au travail va augmentant, le stress grandissant et les plages consacrées aux loisirs diminuant. Ah bon, vraiment ? Et si les causes résidaient ailleurs ? Au cœur du livre même ?
Prenons Mots à Maux, le dernier-né paru dans la nouvelle collection des Éditions Phi. Phi nous avait habitués à Graphiti, une collection simple, mais tout en charme, faite d’un papier épais, de qualité. Une nouvelle collection – sans nom – est née. Le format, désormais carré, a plus que doublé. Le papier s’est blanchi et glacé. Chic ? En fait, non. Tout fleure le graphisme bon marché. Certes, de par sa taille, le livre devient plus visible dans les rayonnages, mais également plus onéreux. Analyse de l’enveloppe faite, Mots à Maux n’entre pas dans la catégorie des livres-objets. Quid du contenu ?
Mots à Maux est un ouvrage signé par Dany Dickes pour les illustrations et Danielle Hoffelt pour les poèmes. À quatre mains donc, comme il en fleurit tant sur le marché actuellement. Les deux femmes se connaissent. S’étant découvert une « sensibilité commune », elles ont opté pour la fusion. À part que...
D’un point de vue formel, il est censé y avoir dialogue. Entre les pages de gauche dédiées aux mots et celles de droite pleines de traits. Mais à cinquante ans, on n’appréhende pas la vie comme à 36. Les mots de Danielle Hoffelt ne sont que maux qui s’appesantissent sur la longueur du temps écoulé et gâché et la brièveté du restant. À l’inverse, les dessins de Dany Dickes, des croquis de femmes nues, témoignent d’une insolente vigueur. Ces femmes s’offrent, s’accouplent, paraissent mordre la vie à pleines dents, provocantes ou rêveusement nonchalantes, mais toujours sensuelles. Ce n’est que pudiques, recroquevillées sur elles-mêmes qu’elles font écho aux mots aigres-doux de la poétesse. Lesquels, bien que peu nombreux, sont pesants. Véhiculaires d’angoisses, de regrets, de solitude, de souvenirs, d’absence, de disparitions, de ruptures, de blessures et d’abnégation. Un soliloque uniformément gris malheur qui ne prend fin, par la force des choses, qu’avec le dernier mot craché.
Fermer vite Mots à Maux et se plonger dans François Rabelais ou Albert Cohen. Pour jubiler et jouir.