Les 3 et 4 mars, le Théâtre National du Luxembourg a accueilli, à l’initiative de l’Institut Français du Luxembourg, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, mis en scène par Daniel Scahaise et interprété par Etienne Minoungou, pour fêter les cinquante ans de la francophonie et une langue plurielle et métissée partagée par plus de 300 millions de personnes.
Cahier d’un retour au pays natal a été écrit par Aimé Césaire (1913-2008) en 1939, au moment même où il quitte Paris – métropole où, étudiant, il s’était d’abord senti rejeté mais où il se liera avec de nombreux écrivains comme Léopold Sédar Senghor et Jacques Rabemananjara, ses frères en négritude – pour retrouver sa Martinique natale. Il y sera professeur, député et maire tout en poursuivant son immense œuvre de poète, d’auteur dramatique et d’écrivain engagé.
Cahier est la première œuvre de Césaire, il la revisitera à de multiples reprises. Ce texte « fondateur de la négritude », vaste mouvement esthétique et politique qui est le fait de tous les opprimés, « ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre / ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale » embrasse hier et aujourd’hui, l’ici et l’ailleurs, le vécu personnel et les événements du monde. Mythes, Histoire et actualité s’y mêlent en des ramifications multiples. À partir de l’histoire du peuple des Caraïbes et du peuple noir, Césaire y dénonce l’esclavage, la colonisation, l’oppression et pose les jalons d’un autre monde possible. Entre prose et poésie, ce texte bouillonnant est à la fois un cri de révolte pour libérer la parole muselée et réhabiliter la dignité du peuple noir, des opprimés et des exclus, de tous « ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements » et un chant d’amour pour humaniser l’humanité.
Avec des mots de tous les horizons, des mots qui se cognent et se télescopent, des mots sonores et des images surréalistes, Césaire livre une langue explosive, une parole vive faite pour être partagée. Le comédien burkinabé Etienne Minoungou (fondateur de la Compagnie Falinga et des Récréâtrales à Ouagadougou) prend à bras-le-corps ce magnifique texte et le restitue avec une belle émotion et beaucoup de générosité, avec douceur et de manière toute personnelle (il dévoilera à la fin du spectacle un maillot de sportif à son nom et aux couleurs de son pays). Seul en scène, il rend vivant et présent cet exigeant poème, nouant un dialogue avec le public dont il se rapproche. Le comédien interpelle, sollicite, questionne et offre le thé préparé sur scène. La parole devient échange et partage.
La mise en scène minimaliste de Daniel Scahaise laisse toute la place à Etienne Minoungou, qui évolue dans un décor épuré, petit espace sphérique recouvert de sable, délimité par une palissade de planches et quelques cagettes de bois. De sacs de voyage, le comédien sortira bougie, réchaud, théière... Quelques accessoires diront l’abri de fortune, la « ville plate – étalée, trébuchée de son bon sens, inerte… », quelques briques diront les lieux de l’enfance, « une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois » ou « la case gerçant d’ampoules ».
Quand le spectacle commence, un homme se réveille, seul, recroquevillé sous une couverture. « Au bout du petit matin… » sont les premiers mots qu’il prononce et qui reviendront en boucle. Des mots qui font surgir des souvenirs, la famille, le lit de la grand-mère, la rue Paille…, qui confrontent le départ hier et le retour aujourd’hui : « Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s’élève, des fidélités trahies, du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d’Europe… ». Des mots qui soufflent comme le vent de la protestation de l’homme vindicatif et révolté.
Mais l’homme, dans sa négritude acceptée, se réconciliera avec le pays aujourd’hui retrouvé : « Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi ». Sans haine ni colère, plein d’un « amour immense », cet homme « debout et libre » peut alors s’élancer vers « la terre où tout est libre et fraternel ». Cahier d’un retour au pays natal, un spectacle poétique et sensible, d’une belle humanité et en troublante résonance avec l’actualité !