« Fin octobre, début novembre, nous n’allons probablement plus avoir de lits disponibles dans nos foyers à long-terme », dit Yves Piron dans une interview parue vendredi dernier dans l’hebdomadaire Woxx. Et d’annoncer que, d’ici l’été 2017, la situation va encore empirer. Yves Piron est directeur de l’Olai (Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration), qui loge plus de 3 000 demandeurs de protection internationale dans 70 foyers à travers le pays. Si un directeur d’une agence étatique tire ainsi la sonnette d’alarme, c’est aussi pour détourner un peu de pression de son/sa ministre. Depuis l’été, la ministre de l’Intégration Corinne Cahen (DP) et ses services, notamment l’Olai, mais aussi les sociétés de gardiennage privées qui travaillent pour ces foyers, font l’objet de critiques de plus en plus ouvertes de la part de demandeurs de protection internationale, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Les conditions d’accueil, s’insurgent-ils, seraient désastreuses, les gardiens souvent trop autoritaires, l’attente des demandeurs interminable.
Depuis « l’afflux massif » de réfugiés et de demandeurs d’asile en provenance du Moyen-Orient, notamment de la Syrie en guerre, afflux qui a commencé en automne 2015, il y a eu 3 200 nouveaux arrivants ; 420 en novembre et décembre de l’année dernière, aux alentours de 200 par mois cette année. Dès le début, le gouvernement DP/LSAP/Verts s’est montré généreux et proactif, sillonnant le pays à la recherche de nouveaux logements, promettant de construire rapidement des villages de containeurs afin d’éviter de loger les demandeurs sous des tentes – comme cela avait été le cas lors du dernier afflux, en 2011/12. Mais depuis lors, plusieurs projets (Steinfort, Bridel,…) se sont embourbés dans des procédures judiciaires entamées par des citoyens opposés à l’arrivée de pauvres étrangers dans leur voisinage. Et les structures existantes sont dans un piteux état (comme le Don Bosco au Limpertsberg, qui a dû être rouvert), ou seront récupérées par leurs propriétaires (comme le centre de logopédie). L’approche des élections communales de 2017 laisse présager que plus aucun maire n’aura le courage d’attaquer un projet impopulaire d’ici l’hiver prochain. Alors ceux qui travaillent sur le terrain, que ce soient les fonctionnaires de l’Olai, les collaborateurs des ONGs comme la Croix-Rouge, la Caritas ou l’Asti, et les nombreux bénévoles engagés, essaient de joindre les deux bouts et de gérer une situation exceptionnelle dans la durée.
Or, la durée, justement, est un des grands problèmes : Les procédures d’analyse des demandes de protection internationale sont toujours beaucoup trop longues : après la réforme de 2015, elles devaient être réduites à six mois. Dans les faits, les demandeurs attendent souvent plusieurs mois, voire un an avant leur premier entretien – et s’impatientent parce que le regroupement familial, leur but premier, est extrêmement difficile. Durant ce temps, ils n’ont guère accès au marché de l’emploi et passent leurs journées à attendre. Ces délais sont du domaine du ministre de l’Immigration, Jean Asselborn (LSAP), qui ne s’exprime jamais sur le sujet au Luxembourg. Or, si le pourcentage d’accords du statut de réfugié selon la convention de Genève a considérablement augmenté – à un tiers des décisions cette année, contre entre cinq et dix pour cent les années précédentes –, c’est surtout dû au fait que les Syriens constituent désormais la majorité des demandeurs et que leurs dossiers sont expédiés plus rapidement. Mais Jean Asselborn est aussi un ministre qui expulse, presque 400 retours cette année, surtout vers les pays des Balkans, qui sont le plus souvent des retours volontaires (seulement 55 retours forcés) – sans qu’on n’entende jamais de qualificatif de « cœur de pierre » comme ce fut le cas pour Luc Frieden avant lui. Peut-être parce qu’il sait être pragmatique et n’hésite pas à intervenir en faveur de l’un ou l’autre cas désespéré en lui accordant un statut de tolérance.
Mais, face à tant d’adversité – l’opposition de nombreux citoyens et de leurs élus locaux, la dégradation tragique des structures d’accueil, le manque de ressources humaines, l’interminable attente, l’impossible accès au marché de l’emploi et, pire encore, à celui du logement (même pour les réfugiés qui ont le statut, mais pas de ressources financières) –, l’image humaniste du gouvernement commence à se fissurer. Sa responsabilité est collective.