C'était le temps où l'on mangeait allongé, où les hommes portaient "un vêtement de laine, composé de deux pièces cousues ensemble, sans manches". C'était aussi l'époque classique de la littérature latine, de la prose de Tite-Live, de la poésie de Virgile ou Ovide... Des cercles littéraires s'organisaient, le goût d'écrire s'étendait. On versifiait, et César fondait la première bibliothèque publique, grecque et latine...
Le jeune Luxembourgeois Ian De Toffoli situe son premier roman, De solitudinis arte, dans les dernières années av. J.-C., à l'époque où la conscience artistique était exigeante. Ambitieux pour un premier roman, puisqu'il faut d'abord bien connaître son sujet, puis intéresser un public que l'on sait frileux à l'avance. Pari gagné?
Vers 14 av. J.-C., Manius Sertentius, surnommé Fragilis, revient dans sa Rome natale après quatre années passées à Argos (en Grèce) à étudier la philosophie et la poésie. Il retrouve sa mère Cinna, son frère Marcus, dit Difficilis, et son père Publius Sertentius Dolus, "un chevalier assez riche". Il va "commencer une nouvelle vie à Rome". Et au désespoir du paternel, qui le voudrait officier, il ambitionne d'écrire.
Le roman va s'articuler autour d'une réflexion sur l'écriture et la raison de vivre d'un artiste. "Est-ce que l'étude de la littérature" est "du temps perdu ?" se demande Manius. Et quelle est la place de l'artiste dans la société ? Doit-il lui être utile? À moins qu'il n'écrive que pour lui-même? Pour être un artiste, faut-il donc être narcissique?
Face à ces questions, et avec ses aspirations, Manius se "sent seul", à une époque où la majorité des jeunes de son âge rêve d'une vie confortable et utile. Manius, lui, a pris une toute autre direction: "le chemin qu'il apprécie et aime, même si celui-ci s'avère très difficile, au lieu du chemin le plus facile mais qui lui déplaît." Un parcours épineux qui fera vaciller le poète débutant du doute au désespoir.
Né en 1981, Ian De Toffoli a écrit ce roman en 1999, il était encore lycéen. Et l'on ne peut que se réjouir de son intérêt pour le siècle d'Auguste et la poésie latine. On croise ainsi Ovide, on va aux thermes et renoue un peu avec le latin...
Comme son héros, Ian De Toffoli adore-t-il l'Iliade et l'Odyssée de Homère ? "Son auteur préféré" est-il Virgile? On ne peut immanquablement pas dissocier l'auteur et son jeune héros. Tous deux ébauchent leur premier manuscrit, et l'on peut imaginer que les doutes de Manius ressemblent à ceux qu'a pu rencontrer l'auteur lors de l'écriture de De solitudinis arte. Et le roman nous paraît alors terriblement actuel, car toutes les questions du romain semblent usuelles encore de nos jours.
Le pari pourrait donc bien être gagné, même si le roman ne s'avère pas parfait. L'approche nous touche. La manière d'aborder l'art, la solitude et l'amour jouit de la candeur de la jeunesse, en même temps que l'on sent une certaine maturité. Avec la réflexion sur le canevas du roman et la double mise en abyme - le jeune poète Manius écrit l'histoire d'un jeune poète qui tente d'écrire... -, tout est agencé pour installer le trouble.
Dommage que les fautes de français, les confusions de temps et la pénible entrée dans le roman incommodent le lecteur. Autant de négligences inexcusables habituellement. Mais rien qui ne soit perfectible à l'avenir par le jeune auteur - actuellement étudiant en Lettres et Histoire de l'Art à Paris IV - pour qui les voies de l'art risquent toutefois d'être hasardeuses. Combien d'écrivains n'ont pas dépassé le stade du premier roman?
Ian de Toffoli: De solitudinis arte, ou le nouveau mythe de Narcisse, Éditions des Cahiers luxembourgeois, Luxembourg; mars 2001, 142 pages, 600 francs.