Twitter, la plateforme de micro-blogging dont le succès et l’impact sur la façon dont s’organise l’information sur Internet n’ont pas fini de surprendre, a annoncé cette semaine avoir négocié le rachat de Tweetdeck pour quarante millions de dollars. Tweetdeck est une application qui fédère sur un écran d’ordinateur différents « fils » issus de réseaux sociaux – Twitter mais aussi Facebook ou autres. Créée en 2008, elle a beaucoup aidé les utilisateurs intensifs de ces plateformes à organiser quelque peu la profusion d’informations qu’elles produisent.
La transaction confirmée mardi par Twitter montre que sur la planète Web 2.0, il n’est pas nécessaire d’afficher des chiffres d’affaires ou des profits significatifs pour pouvoir se lancer dans les fusions et acquisitions. Malgré ses dizaines de millions d’utilisateurs, Twitter, qui n’a que tardivement et prudemment commencé à vendre de l’espace publicitaire, a en effet été déficitaire l’an dernier. Ses projections, obtenues par un hacker et publiées par des magazines en ligne spécialisées, sont un chiffre d’affaires de 1,54 milliard de dollars à fin 2013, avec un résultat net de 111 millions, en supposant une base d’utilisateurs d’un milliard. 2013 est d’ailleurs l’année citée pour une possible introduction en bourse de la société fondée en 2005 – une récente vente d’actions Twitter reflétait une capitalisation théorique de 7,8 milliards de dollars.
On voit que peu a changé dans le monde de la finance Internet par rapport au début des années 2000, quand un univers entièrement construit sur de supposés profits à venir a débouché sur la douloureuse implosion de la fameuse « bulle ». Le rachat de Tweetdeck est-il une indication qu’entre Facebook, Skype, Zynga et autres Twitter, nous nous rapprochons à nouveau, sans vouloir en prendre conscience, d’un effondrement de la valeur des entreprises Internet jugées les plus prometteuses ?
L’acquisition de Tweetdeck témoigne en tout cas, de la part de Twitter, d’une démarche agressive pour prendre le contrôle d’applications qui parviennent à s’imposer dans la twittosphère, histoire d’éviter que d’autres sociétés parviennent à en prendre le « contrôle » ou à en bénéficier. Tweetdeck, bien que gourmand en ressources système, est très utile pour grouper des « feeds » personnalisés par mots-clés ou thématique, pour afficher côte-à-côte des fils privés et professionnels, et aussi bien sûr pour publier ses états d’âme, commentaires ou contributions sur chacune des plateformes de manière ciblée ou groupée – c’est, pour ceux pour qui les réseaux sociaux sont une part essentielle de leur activité professionnelle, un outil de productivité.
Pour les commentateurs spécialisés, l’acquisition de Tweetdeck par Twitter montre aussi que la direction de ce dernier continue de miser en premier lieu sur les utilisateurs intensifs de ses services et de chercher à les satisfaire, plutôt que de chercher à séduire un ventre mou d’utilisateurs débutants ou hésitants. Cette démarche repose sur la nature-même de Twitter, qui permet à tout un chacun de capter l’attention du monde entier simplement sur la base de la pertinence de ce qu’il publie.
Pour les fondateurs de Tweetdeck en tout cas, cette transaction est la preuve que leur calcul était juste. Empocher quarante millions de dollars alors que l’équipe de Tweetdeck, basée à Londres, se limite à une quinzaine de personnes, est une belle performance. Selon de récentes rumeurs, ils auraient été en discussions ces derniers mois avec Ubermedia pour lancer une application qui aurait concurrencé Twitter directement sur son terrain du micro-blogging. Ubermedia de son côté a racheté ces derniers temps une brassée d’applications ajoutant divers services périphériques à Twitter. C’est sans doute aussi cette menace que Twitter, inégalé pour l’instant, aura voulu définitivement écarter avec cette acquisition « défensive ».