"Plus que la découverte, voire la redécouverte de ses photographies, la question du sens de cet acte m'a semblé importante, écrit Paul di Felice dans l'une des trois préfaces au Journal parisien que vient de publier Fernand Steffen. Pourquoi faire revivre des photographies prises dans un contexte particulier, à un moment où la légèreté de la première jeunesse pouvait encore effacer toute trace de mélancolie? Alors qu'aujourd'hui ces photographies expriment davantage la nostalgie du passé que la célébration d'un présent toujours en mouvement?" Dans son introduction à lui, Fernand Steffen ne donne pas vraiment de réponse à cette question, il dit seulement que l'idée existait depuis dix ans, mais qu'elle a mis tout ce temps pour se réaliser. À l'époque, 1981-1982, il avait 25 ans, faisait des études en histoire de l'art à Strasbourg, puis à Paris - où il emporta une Rolleiflex, une Leica et une Agfa Pocket. Aujourd'hui, il est enseignant d'éducation artistique au Luxembourg et ces images parisiennes en noir et blanc semblent toujours autant le fasciner. Au point qu'il édite, 22 ans plus tard, ce livre à compte d'auteur.
"J'ai admiré des photos de Cartier-Bresson, de Brassaï, de Depardon qui décrivent Paris mieux que je n'ai pu le faire en ces quelques mois, écrit-il. Mais le journal parisien montre une vue personnelle de Paris comme je l'ai vue de mes yeux de jeune étudiant." Son Paris est celui des petites ruelles dans lesquelles s'engouffrent des silhouettes furtives, des devantures de magasins qui nous semblent aujourd'hui rocambolesques ou désuètes et surtout celui des chantiers abandonnés, des coins en friche, des toits déglingués, mal aimés. Une seule image de la Tour Eiffel, et encore, prise par la fenêtre du métro. Ni Pigalle, ni Moulin Rouge, ni Montmartre, ni Champs-Élysées et autres clichés hyper-touristiques.
Fernand Steffen aime le Paris intime des habitants, celui du quotidien, les coins perdus, comme vidés de vie. La foule, il la voit de derrière - musiciens, touristes japonais, utilisateurs du métro - ou de loin comme ces touristes sur une péniche pris à partir d'un pont, ces policiers ayant repêché un cadavre du fleuve à l'autre rive ou ces amateurs d'art assis entre des sculptures. Sinon, les Parisiens qu'il montre au travail dans la rue (balayeur, policiers...), endormi dans une station de métro, artistes au travail ou en atelier sont seuls, ou presque.
C'est le Paris vu par un regard extérieur de quelqu'un qui traverse la ville à pied, les yeux grands ouverts sur ces détails touchants qu'un autochtone ne remarquerait même plus. Dans ce calme presque bucolique qu'il décrit, la Seine semble exercer une fascination toute particulière sur Fernand Steffen: elle revient toujours et encore, majestueuse, éternelle, calme, graphique, forte en contrastes.
Toute la recherche photographique en noir et blanc de Fernand Steffen se base d'ailleurs ici sur les forts contrastes entre le noir et les tons de gris, entre l'ombre et la lumière. C'est ce qui en ajoute au caractère d'ovni de ce livre, qu'on aurait tout aussi bien pu avoir déniché sur un quelconque marché aux puces : ce travail de précision, même dans la recherche de l'aspect flou, fuyant, le travail sur la lumière et le grain de l'image cherchant à sublimer son sujet en font un double travail d'exhumation. D'une part de la mémoire (individuelle, même si le public peut s'y identifier avec ses propres souvenirs) de Paris dans une époque révolue, mais aussi et surtout une mémoire collective du médium photographique. Dans ce sens, ce Journal photographique est à la fois obsolète et intemporel.
Fernand Steffen: Journal parisien - Photographies 1981-1982; édité à compte d'auteur; 176 pages, 24 euros; ISBN: 2-87996-887-9. En vente en librairie ou en virant 24 euros plus 1,80 euro de frais de port sur le compte IBAN de Fernand Steffen : LU23 1111 2164 8174 0000 auprès des CCPL. Contact par e-mail : fernand.steffen@internet.lu.