C’est reparti pour un tour de piste : la réglementation ayant permis en 2010 à la Chambre de commerce de préserver ses rentrées financières lui venant principalement des cotisations (obligatoires) des entreprises, qu’il s’agisse de « holdings » ou de sociétés avec nettement plus de substance comme Arcelor-Mittal qui reste son principal contributeur, est à nouveau au cœur d’un litige devant le Tribunal administratif. L’affaire sera probablement tirée en longueur, mais son issue pourrait obliger le gouvernement à remettre sur le métier la loi organisant la chambre professionnelle qui est aussi un des plus puissants lobbies du grand-duché.
Il n’y a désormais plus de doute sur l’évolution des litiges opposant depuis décembre 2010 les services juridiques de la Chambre de commerce à une myriade d’entreprises luxembourgeoises qui ne se sont toujours pas résolues à verser leur cotisation à une organisation dont elles contestent l’utilité. Le dernier épisode en date s’est joué lundi 30 avril devant le Tribunal administratif : le renvoi de l’affaire devant la Cour constitutionnelle sur une question extrêmement technique, mais peut-être pas aussi anodine que les représentants de l’organisation patronale veulent le faire croire, est imminent. La contestation porte sur la légalité de la loi de 2010 ayant octroyé à la Chambre de commerce le droit de fixer elle-même son règlement de cotisation, alors que cette faculté devrait en principe relever d’un règlement grand-ducal. On n’attend plus maintenant que l’officialisation par les juges administratifs de la question préjudicielle de conformité à la Constitution luxembourgeoise. C’est une question de jours. Il faudra en revanche plusieurs semaines avant que la Cour constitutionnelle se prononce. Et peut-être aussi quelques années avant un arbitrage définitif des affaires, la probabilité de recours en appel étant assez forte, ainsi que la possibilité pour les entreprises récalcitrantes à payer leurs bulletins de cotisation de soulever d’autres points de droit susceptible de les faire encore traîner en longueur.
Cette fois pourtant, ce ne sont pas uniquement des sociétés de participation financières (soparfis), sans autres liens avec le Luxembourg que la recherche de l’optimisation fiscale, qui contestent leur affiliation à la Chambre de commerce, comme ce fut le cas en 2008 et 2009, obligeant le gouvernement à changer la loi organisant les chambres professionnelles et aussi à moduler les prélèvements obligatoires pour se financer. Une banque en liquidation compte parmi les plaignants ainsi que l’une des plus importantes sociétés de private equity du pays. Leurs bulletins de cotisation annuelle se chiffrent, ici, en plusieurs dizaines de milliers d’euros. L’enjeu financier est donc loin d’être marginal.
En 2009, les recours des soparfis débouchèrent d’abord sur l’invalidation de centaines de bulletins de cotisation pour absence de base réglementaire et ensuite sur le vote au pas de charge d’une nouvelle loi légalisant les prélèvements effectués par la Chambre de commerce sur toutes les entreprises luxembourgeoises.
Lundi 30 avril, l’avocat de la Chambre de commerce est reparti de l’audience de plaidoirie un peu frustré : il s’était préparé à défendre le statut d’établissement public de la Chambre de commerce et se sentait plutôt à l’aise dans cette tâche, ainsi que sur ses chances de pouvoir convaincre son auditoire. Ses adversaires défendent évidemment le contraire : la Chambre de commerce ne constitue pas à leurs yeux un établissement public au sens de l’article 108bis de la Constitution, disposition susceptible de lui accorder un pouvoir réglementaire, cœur du litige actuel.
La jurisprudence que la Cour administrative avait défini en 2009 sur le statut d’établissement public de la Chambre de commerce et son champ d’action – dans le cadre des premiers recours de sociétés qui réchignaient à verser leurs cotisations à la Chambre de commerce, les jugeant illégales, et elles auront gain de cause sur ce point – pêcherait par son imprécision et il ne serait pas étonnant que les juridictions administratives aient dans une étape ultérieure de la procédure, à se pencher à nouveau sur cette question pour lever toute ambiguïté et permettre enfin à l’organisation patronale de prélever son écot sur ses ressortissants1.
Au lieu de ça, les juges lui ont fait savoir que ce n’était pas le propos ni le moment. Le tribunal n’avait en effet qu’une seule idée en tête, même si elle paraît un peu « ésotérique » aux proches du dossier : que les parties en cause, Chambre de commerce d’un côté, entreprises contestant les cotisations de l’autre, se prononcent sur la légalité des « prérogatives exorbitantes » accordées à la Chambre de commerce en lui confiant un pouvoir réglementaire. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du pouvoir de régler elle-même la question des cotisations. La loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de commerce lui a permis de le faire, mais est-ce bien constitutionnel ? Le Conseil d’État s’était déjà virulemment opposé à cette option en posant, lors des débats parlementaires en 2010, deux veto consécutifs au projet de loi et obligeant ainsi les députés à procéder à son adoption en seconde lecture. À cette époque, les membres de la Commission de l’économie avaient volontairement fermé les yeux sur cette incongruité législative, ne trouvant pas anormal de donner à une organisation professionnelle le droit de se façonner ses propres règlements. Les parlementaires estimaient d’ailleurs que la conformité de ce point ne faisait plus de doute après que la Cour administrative eut tranché en assimilant la Chambre de commerce à un établissement public. Cette appréciation est sujette à discussion et la lecture de l’arrêt de la juridiction impose aussi des nuances.
Dans l’un de ses avis au vitriol, le Conseil d’État avait de toute façon dit « l’impossibilité » pour une chambre professionnelle de se voir conférer un pouvoir réglementaire : « les modalités de fixation des cotisations à percevoir par la Chambre de commerce sont à fixer par voie de règlement grand-ducal », soulignaient les Sages en 2010. retour de boomerang deux ans plus tard.
Si la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et la Banque centrale du Luxembourg (BCL), deux établissement publics, disposent bel et bien du droit de réglementer, elles le font sur des points ayant trait à des aspects particuliers et dans le cadre de leurs spécialités respectives, et non pas pour se confectionner sur mesure les montants des contributions à verser par leurs administrés. L’exercice relève là d’une autre sphère qui leur échappe. Les juristes de la Chambre de commerce ne se démontent pas pour autant : à leurs yeux, le règlement de cotisation relevant des prérogatives de l’organisation patronale doit être situé dans le cadre de l’autonomie budgétaire qui lui fut accordée par la loi du 26 octobre 2010. Cette loi d’habilitation ne heurterait pas, poursuivent-ils, à la Constitution, car rien dans le texte n’interdirait au législateur de conférer à la Chambre de commerce un pouvoir réglementaire autonome, c’est-à-dire indépendant de l’exécution d’une loi.
La question doit maintenant être tranchée par la Cour constitutionnelle. Cette affaire remet en tout cas sérieusement en cause la solution de compromis qu’avaient bricolé les députés en 2010, en soumettant les règlements de cotisation à l’accord préalable du gouvernement. Cet artifice avait permis de faire passer au forcing la loi sur la réorganisation de la Chambre de commerce et l’autoriser à poursuivre, comme si de rien n’était, le train de vie qui est le sien. Les magistrats de la Cour constitutionnelle pourraient se montrer moins consensuels. En attendant, une nouvelle brèche a été ouverte dans laquelle ne manqueront pas de s’engouffrer toutes les entreprises qui remettent en cause leur affiliation obligatoire à la Chambre de commerce.