They are not amused diraient les Anglais. Tous les avis rendus jusqu’ici à la commission parlementaire des Pétitions sur la recommandation n° 45-2011 (la dernière avant son départ) du médiateur Marc Fischbach (CSV) « relative à l’institution d’un organe de surveillance auprès des ordres professionnels et d’autres professions libérales », qu’ils émanent des professions libérales ou des organes de justice, sont fermement opposés à cette idée. Les uns le disent plus virulemment, comme la Cour supérieure de justice, qui « se prononce nettement contre la composition proposée de l’organe de surveillance des professions réglementées et libérales à mettre en place », ou le procureur général d’État Robert Biever, qui, comme la Cour, craint une « judiciarisation rampante de l’activité disciplinaire des différents ordres professionnels ».
D’autres l’articulent plus timidement, comme l’Ordre des avocats, qui trouve qu’un tel organe de contrôle externe « ne trouve pas de justification », les organes et procédures internes fonctionnant assez bien. Ou la Chambre des notaires, qui « n’en voit (...) ni la nécessité, ni l’utilité », le Collège médical, qui « pense qu’il n’y a pas de péril en la demeure justifiant l’institution d’un organisme de surveillance des professions libérales », ou encore l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), qui « ne saurait se déclarer en faveur d’une proposition qui viserait à instituer un organe de surveillance ». Contactée par le Land, la Chambre des huissiers de justice, également citée par le médiateur comme faisant l’objet de plaintes qu’il aurait reçues, répond qu’elle se rallie à l’avis de la Chambre des notaires, et qu’elle « ne voit pas l’utilité de créer un tel organisme, mais ne s’y oppose pas ». La presse, dont le métier est également autorégulé et les plaintes traitées par une commission interne, ne semble dans ce contexte pas être sur les radars, ni du médiateur, ni de la commission parlementaire.
Ce que propose le médiateur Affirmant être « régulièrement saisi » par des citoyens mécontents de la manière dont les ordres professionnels suivent leurs plaintes vis-à-vis d’un de leurs membres, médecins, avocats, huissiers, notaires ou architectes, par exemple, le médiateur Marc Fischbach, dont le champ de contrôle se limite, selon la loi de 2003, aux services administratifs de l’État, estime néanmoins qu’un « fonctionnement interne des professions libérales à l’abri du moindre regard de l’extérieur n’est plus guère compatible avec les principes d’objectivité et de transparence qui sont à la base d’une conception évoluée de l’État de droit et de la démocratie ». S’inspirant de la pratique au Québec, il propose donc que soit instaurée une « instance de surveillance de l’État », qui prendrait la forme d’un collège composé de trois conseillers de la Cour d’appel, et dont la mission ne serait pas d’analyser le fond d’une plainte, mais la forme de son traitement et de son suivi. En gros, cette commission aurait pour mission d’assurer qu’une plainte soit reçue en bonne et due forme et traitée avec « diligence et soin ».
Il se fait ainsi l’écho de citoyens dépassés par les organisations internes, procédures à appliquer, organes à saisir et autres délais à respecter s’ils veulent se plaindre du comportement, de ce qu’ils estiment être une faute, des honoraires ou du traitement qui leur était réservé par un professionnel libéral. Tous les ordres n’appliquent pas la même transparence et la même méticulosité dans le traitement de ces affaires. La radio 100,7 par exemple s’était fait l’écho, à la mi-janvier, du cas d’un mari qui accuse le gynécologue qui a assisté la naissance de son enfant en 2007, naissance après laquelle la mère est morte pour cause de ce qu’il juge être un mauvais diagnostic. Il a par la suite saisi le collège médical pour se plaindre du gynécologue, dont l’erreur serait prouvée par un avis d’un expert français. Une procédure judiciaire étant en cours, le Collège médical a gelé une éventuelle procédure disciplinaire à l’encontre du médecin en attendant le verdict du tribunal. Or, la loi de 1999 sur ledit collège prévoit, dans son article 19, un délai de prescription de cinq ans à partir des faits invoqués. Le plaignant craint, à raison, que son cas ne soit prescrit, alors qu’une procédure disciplinaire peut déboucher sur des sanctions allant de l’avertissement à l’interdiction à vie d’exercer la profession.
Ce que disent les députés La commission parlementaire des Pétitions, qui est en charge du suivi des rapports et recommandations du médiateur, a été saisie dès le dépôt du rapport annuel, en octobre 2011, de l’analyse du dossier et de l’organisation d’un débat d’orientation sur ce rapport, qui devrait avoir lieu en mai ou juin. La recommandation n°45-2011 est traitée dans ce contexte. « On constate que, en règle générale, le médiateur a réussi, en huit ans, à faire baisser la part d’arbitraire dans les administrations, » juge ainsi le président de la commission parlementaire, Camille Gira (Les Verts). Qui salue plutôt l’approche de l’ombudsman, se faisant le relais des reproches récurrents de corporatisme des professions libérales – la protection d’un des leurs avant la prise en compte du mécontentement, voire des doléances d’un client ou d’un patient –, et qui aurait surtout pour ambition d’assurer et de surveiller le bon fonctionnement des instances d’autorégulation.
Pour André Bauler (DP), le rapporteur pour la commission, il s’agit en un premier lieu, après la réunion de mercredi et la lecture des avis, de demander davantage d’informations chiffrées sur le nombre de faits invoqués et le nombre de plaintes traitées en interne. « Il nous faudra ensuite voir si nous allons trouver un terrain d’entente et si un tel organe de contrôle est vraiment nécessaire, » dit-il.
L’approche de la Justice Davantage que les organes professionnels mis au pilori, ce sont les magistrats et le procureur général d’État qui sont le plus radicalement opposés à l’instauration d’une telle commission de contrôle. Et ce surtout à cause de sa composition, trois conseillers de la Cour d’appel, « la mission première des magistrats du siège étant de dire le droit et non pas de surveiller le fonctionnement interne de telle ou telle profession » écrit la Cour supérieure de justice. La composer de magistrats du siège ferait « naître l’impression qu’il s’agit d’une instance de nature quasi juridictionnelle particulière » et la « jurisprudence » qui naîtrait des décisions de cet organe risquerait d’entrer en conflit avec les règles des instances internes compétentes des différentes professions. Pour le procureur général d’État Robert Biever, qui affirme comprendre « assez mal » le médiateur, il est en outre énigmatique comment un tel organe pourrait juger quant à la forme du traitement d’un dossier de plainte sans en connaître le fond. « Cela semble plutôt relever de la quadrature du cercle, » écrit-il.
Le malaise déclenché par la recommandation de Marc Fischbach est le plus clairement articulé par le bâtonnier Guy Harles : « L’État n’a pas à s’immiscer dans ces affaires, dit-il. Nous considérons notre profession comme le dernier bastion du citoyen vis-à-vis de l’État : nous sommes là pour protéger le droit de la défense ! » Il affirme haut et fort que les instances du barreau appliquent rigoureusement leur code de déontologie et sa surveillance, et demande à ce que ces instances soient saisies des plaintes dont aurait connaissance le médiateur. Avant de glisser : « Vous savez, pour la petite histoire, il y aussi des gens qui nous ont déjà écrit qu’ils étaient mécontents du travail du médiateur. »
Les « éternels mécontents » La Chambre des notaires constate, dans son avis, que « de plus en plus de citoyens mécontents de la façon dont leur dossier a apparemment été traité par leur notaire ne suivent pas la voie normale (réclamation / plainte à la Chambre) mais s’adressent tout de suite au grand-duc, au ministre, aux députés, à la presse, etc » (...) ou qu’ils « brandissent tout de suite la menace du ‘Brief an die Redaktion’ ou ‘Den Nol op de Kapp’ », comportements qui nuiraient « à la sérénité nécessaire à une solution du problème ». Pour le Collège médical, « il est fréquent que le citoyen ordinaire se méfie de toute institution dont il redoute les mécanismes par peur, ou ignorance, préférant soit s’enfermer dans un processus de victimisation qui l’empêchera de dénoncer les crimes les plus odieux, soit à approcher des acteurs dont le statut leur inspire meilleure confidence pour intervenir auprès de l’organe compétent ab initio. » Et le procureur général de constater qu’il existe « très certainement un nombre indéterminé et indéterminable de personnes qui ne sont pas contentes de décisions prises par le Conseil de l’ordre d’une profession déterminée ».
L’avocat Gast Neu connaît bien ces cas de gens « qui restent persuadés jusqu’au bout qu’ils ont raison », pour être entre autres le médiateur interne de l’Ordre des avocats, où il traite à peu près une affaire par mois. « Je trouve que l’autorégulation fonctionne plutôt bien, estime-t-il. Mais il faut toujours et à nouveau expliquer les enjeux de telle ou telle procédure ou décision en cours de route. »
Le consensus en vue Les métiers regroupés dans la FTI, la Fédération des travailleurs intellectuels indépendants, qui a rencontré la commission parlementaire mercredi, sont extrêmement divers et vont de l’avocat à l’architecte, des huissiers en passant par les kinésithérapeutes, médecins ou vétérinaires jusqu’aux réviseurs d’entreprises. Fondée dans les années 1960 en tant qu’association sans but lucratif avec comme objectif l’affiliation de ses membres à la caisse des employés privées, la FTI milite aujourd’hui pour les intérêts des professions libérales, qui se sentent notamment exclues de la prise de décision politique. Son travail de lobbying se concentre actuellement entre autres sur la création d’une chambre professionnelle propre, qui puisse à l’avenir être saisie pour avis pour tous les projets de loi qui concernent la profession, comme, par exemple, des hausses de la TVA.
« Nous prenons toutes les plaintes de nos clients envers nos membres très au sérieux, affirme Pierre Hurt, directeur de l’OAI et coordinateur de la FTI. Je dirai qu’on peut aussi voir l’initiative du médiateur comme une bonne occasion d’améliorer encore les choses. » Ainsi, il semble s’avérer qu’en guise de consensus, les organes professionnels soient prêts à suive la voie proposée par la commission parlementaire d’une « synchronisation des législations », selon les mots d’André Bauler. Car les lois fondatrices des différentes professions sont disparates, l’une remontant au XIXe siècle, telle autre n’ayant pas vingt ans. Seraient alors également analysés et éventuellement adaptés les procédures et organes disciplinaires ayant cours ; dans ce contexte la prescription prévue chez le Collège médical pourrait être supprimée.