« Masha’allah ! Vous avez bien fait de venir avec les petits, que dieu vous garde en vie. » Mister cab driver… C’est avec lui que commence une nuit d’avril, un séjour de quelques jours à Téhéran.
L’aéroport de Téhéran est loin de la ville, d’autant plus loin à deux heures du matin, avec trois petits et un chauffeur bavard qui conduit calmement. La route est calme, l’espace autour semble loin. L’aéroport a été construit aussi loin car la ville avance à grands pas avec ses 17 millions d’habitants (aire métropolitaine). C’est le cimetière de Téhéran que l’on aperçoit bien avant la ville. Beheshté Zàhrâ, véritable nécropole (qui a son propre service d’autobus), cachée derrière le mausolée de l’imam Khoméini, immense, illuminée et, avec un hôtel, il s’agit d’un des musts pour les touristes d’après Mister cab driver.
L’entrée en ville depuis le côté sud-ouest est illuminée comme lors d’une fête nationale, autour un décor type d’entrée en ville : gabarit fortifié de la route, passerelles piétonnes, immeubles résidentiels sans visage, grisaille ; ce sont les raisons pour l’illumination festive, son défi. C’est la raison pourquoi il faut toujours entrer une ville la nuit. Avant de dormir, un regard par la fenêtre au neuvième étage : Téhéran-nord de nuit, une voie lactée en jaune.
Le lendemain matin un regard par la fenêtre : Téhéran-nord de jour, un désert de bâtiments pâle, au fond les montagnes encore recouvertes de neige. Début avril est la période privilégiée pour visiter Téhéran, suite aux festivités de norouz (le nouvel an) l’air est moins pollué et les habitants plus reposés. Une promenade journalière pour aller au parc, véritable lieu de rencontre et d’échange social pour tous âges et groupes confondus. L’on utilise la place et l’espace, l’on y coexiste : aires de jeux remplis d’enfants et parents, cours et entraînement d’arts martiaux, championnat d’échecs, amoureux, promeneurs, parcs pour rollers avec musique et cours pour débutants et avancés, foot, tennis de table, badminton, volley-ball, drague, chats errants, aucun chien.
Comme dans un livre d’Ali Mitgutsch, mais avec femmes « ba hejab » même si la plupart cherchent à y manquer. Désormais les interprétations du hijab ressemblent à une espèce de défilé permanent de mode-hijab. Durant les quatre jours, les petits me demandent pourquoi les femmes portent le hijab, ce qu’elles peuvent faire grâce à ce « déguisement » – rien, c’est la loi. Le parc, l’appartement de Maryam, le musée du tapis persan et le musée d’art contemporain étant les seuls lieux à distance de marche, les autres déplacements se font en taxi. C’est ainsi tous les jours : réveil avec l’appel à la prière à l’aube, petit-déjeuner, promenade et parc, taxi, visites, taxi, familles, taxis, amis, taxi, hôtel, dodo… Et grâce à Mister cab driver.
Le dialogue est dominé par deux constantes : « Masha’allah ! Vous avez bien fait … » et « Monsieur, comment s’appelle cette rue ? Quel était son nom, avant ? » Téhéran n’est pas la ville de U2 où les streets have no name, et non plus Prague où les habitants avaient enlevé les noms des rues lors de l’invasion russe. À Téhéran, bon nombre de rues, allées, avenues, boulevards et places ont changé de nom depuis la révolution. Ainsi les repères, en grande partie présents, en conversation ont disparus. C’est souvent l’âge du chauffeur qui détermine sa connaissance des anciens noms et à chaque fois c’est un micro-voyage dans le temps, le temps de remettre les noms par rapport aux autres repères rebaptisés, comme les hôtels, les parcs, etc.
Téhéran n’est pas New York non plus, les chauffeurs de taxi y sont faciles, bavards, sympas, patients, avides de connaître leur passager et de lui raconter leur peine comme à un thérapeute ou plutôt à un barman pour se décharger. Mais avant tout, ils sont bosseurs, pour la plupart ils conduisent après leur plein-temps jusque tard dans la nuit, ou bien en plein-temps tout en étant à la retraite. Avec eux passe la majorité de la journée, dans le trafic statique il arrive de mettre deux heures par trajet. Le trafic, actuellement, tous tombent d’accord, serait dû à la construction des voies de contournement à deux étages, et, pour cette même raison, sera résolu vers la fin de la législature communale en cours, car, les choses avancent ainsi à Téhéran, par législature communale, le poste de bourgmestre servant de trampoline au poste de Premier ministre. L’essai spontanée de calculer le nombre de législatures que compte la Nordstrooss échoue.
« Maach dass de zréck kënns ! » Vu le climat international tendu depuis des mois, mes proches n’avaient que cette phrase en bouche avant mon départ. À Téhéran, aucune crainte de guerre ou d’insécurité nationale ou internationale, l’hôtel est rempli de touristes européens, américains, asiatiques. Curieusement, l’exposition au musée d’art contemporain, l’exposition du collectif Parking Gallery à la galerie Faravahr et des projets en cours d’autres collectifs d’artistes parlent de la guerre, de la mort, de la survie et du deuil. Le souffle de la ville semble retenu par l’inflation et la misère quotidienne, on pense à joindre les deux bouts à la fin du mois, on espère pouvoir se « payer » une famille, un futur.
Dans la rue et les parcs, la dépression règne, les visages et gestes suggèrent un état d’esprit simultanément perdu et coincé, et/ ou, éventuellement par conséquence, hypnotisé. Nothing is real, nothing to get hung about, mais pas non plus de strawberry fields en vue. Pourtant une fois interpellés, ces personnes transforment leur hypnose en gentillesse, amabilité et chaleur humaine qu’elles gaspillent sans attentes si ce n’est en échange d’une nouvelle de la vie d’ailleurs. La plupart pensent que la vie est ailleurs et ainsi n’ont pas le courage de s’y prendre pour la vivre chez eux. Et ils disent tous « Masha’allah ! Vous avez bien fait de venir avec les petits, que dieu vous garde en vie. Revenez » Mister cab driver… C’est avec lui que se termine le séjour à Téhéran, une nuit d’avril.