« L’Italie reste inégalée pour la mise au service du savoir-faire artisanal. Ici les artisans croient encore dans l’objet bien fait. » Notre rencontre avec la designer Dunja Weber a lieu dans un café à Luxembourg. Il lui va bien. À la fois très simple et sophistiqué. C’est un endroit urbain aussi, car Dunja Weber n’est pas du genre « back to the roots » mais plutôt déterminée à participer à l’expression de son époque.
Weber. Voilà pour son nom de famille bien de chez nous. Son prénom c’est autre chose. « Cela vient du persan. Cela sonnait poétique et ma mère voulait aussi un prénom qui signifie quelque chose. En arabe, dunya veut dire « le monde et les objets d’ici bas où l’on vit. Cela m’a peut-être influencée… ? »
Elle a amené son book sur tablette. Un objet léger, car au physique, Dunja Weber est un poids plume. Silhouette fine, petit visage pointu mangé par de grands yeux et surmonté d’une frange qui ne veut pas rester disciplinée. Elle est un peu rouquine aussi, ce qui la rend lumineuse. Elle ouvre donc l’ordinateur, lance une power point où défile une série impressionnante d’objets du quotidien qu’elle a déjà créés, dont le fauteuil Soba, désormais fabriqué par l’éditeur de meubles espagnol PCM design, la lampe Luxluxlux en tricot structurel Lycra et métal qui lui donne sa forme de nuage, à suspendre et à poser – une auto-production, en collaboration avec son amie Cécile Feilchenfeldt, une spécialiste de la maille, active dans le domaine de la mode – ou encore le fauteuil June (Maxdesign Production) au dos courbé en accoudoir qui a été choisi pour équiper la bibliothèque du Cercle Cité ici à Luxembourg. Sur le premier écran s’est affiché un « Hello ! » résolu de couleur rouge. Histoire d’annoncer la couleur ? Celle de la passion d’un métier et de la volonté d’embarquer son interlocuteur ?
C’est ce qui nous est arrivé le week-end du Marché des Créateurs au Mudam où on est restée en arrêt devant son stand : sur une table dépouillée, elle exposait la série Totto, des coupes à fruits en terre cuite au dessus glasuré et les verres à eau Hulahoops ceints aux deux tiers d’une oréole de couleur prune. « Ils sont en verre de laboratoire », nous avait-elle expliqué ce jour là et « empilables ». Une description très chiche alors qu’on trouvait leur simplicité d’une élégance folle. C’est ainsi que rendez-vous avait été pris.
Au moment de l’appeler, on découvrit que son téléphone avait un préfixe italien. Et quand elle répondit par mail pour dire « OK », elle venait d’arriver à Milan pour le week-end. Dunja partage en effet désormais sont temps entre Luxembourg et la capitale du design italien où se trouve son studio de création et sa famille (un mari italien qui travaille également dans le secteur du design et un enfant).
Dunja Weber ne peut en effet imaginer son travail sans un challenge de taille : la fabrication. Même si elle a étudié à la fort rigoureuse Schule für Gestalltung de Zurich, puis à la Glasgow School of Art (elle s’inquiète au cours de notre entretien – « Savez-vous qu’elle a brûlé ? Que sont devenus l’architecture et le mobilier de l’école créés par Charles Rennie Macintosh ? »), elle n’est pas du genre à dessiner un objet sur la planche à dessin et le laisser ensuite aux soins, nécessairement réducteurs, d’une réalisation industrielle en série. Une part importante de la vie de l’objet lui échapperait et ça, on sent qu’il n’en est pas question.
À l’époque du tout reproductible, consommable et jetable, Dunja Weber ira contacter un souffleur de verre à Murano, le vrai luxe à tous les sens du terme. Les grands plats Still Waters en verre soufflé – exposés en 2013 à Luxembourg à la Galerie Lucien Schweitzer – en gardent ainsi la trace, un bord irrégulier qui dira la tournure du verre brûlant au bout de la longue tige métallique. Le pouf en lanières de métal Megaweave (désormais exposé au Musée du design de Milan !) est la transposition bluffante d’une forme d’habitude plutôt avachie à la rigidité du fer forgé. Une idée devenue réalité grâce à la rencontre entre Dunja Weber et un ferronier d’art.
Elle sait que pour les artisans italiens, « form follows function » n’est pas un vain mot. C’est suivant ce précepte que l’objet produit reflètera l’usage auquel il est destiné et quelque chose en plus : sa forme qui reflète l’audace et l’enjouement du créateur et sa rencontre avec ceux qui l’ont fabriqué (un potier de Faenza pour les coupes Totto, créées à l’origine pour « décorer » un stand de la société Kettal de mobilier out-door). Mais n’allez pas croire que la jeune femme est une douce rêveuse ou une utopiste : Totto vit désormais sa vie d’objet pratique et beau, autonome. Car elle connaît parfaitement les ficelles du métier. Elle sait l’importance du rendez-vous annuel milanais du Salon du meuble. Où des « autorealizatione » peuvent faire flasher les indispensables éditeurs. Simplement, par rapport à la production en série, Dunja Weber se fait une autre idée du design de demain : personnalisé et produit de manière solidaire.
On attend donc impatiemment les objets d’art de la table sur lequels elle travaille actuellement avec une start-up italienne et un fauteuil en rotin tissé avec une entreprise japonaise. Le nom Weber, finalement, n’était pas non plus innocent comme présage de choix d’orientation dans sa vie...