La présence luxembourgeoise au festival d’Avignon remonte à 1999, avec Marja-Leena Junker et son spectacle L’Annonce faite à Marie. Cette année encore, deux pièces luxembourgeoises s’offrent au public du Off, La Nuit de la Cucaracha, de Roberto Lana, dans une mise en scène de Marja-Leena Junker et La Leçon d’Eugène Ionesco, mise en scène par Myriam Muller – pièce officiellement envoyée et donc soutenue par la Theaterfederatioun et le ministère de la Culture luxembourgeois. Une très belle pièce, bien ficelée, bien rythmée, avec ce qu’il faut de coups de théâtre, mettant avec toute la finesse de Muller, les notes absurde inscrites dans l’écriture de Ionesco. Cette proposition, très bien appréciée du public avignonnais révèle aussi d’excellents interprètes, Denis Jousselin, en professeur, la radieuse Jeanne Werner, en élève et la belle et constante, Sonja Neumann, en servante complice. Le tout joué dans un décor intelligent, créé par l’artiste plasticienne, Trixi Weis qui l’a réadapté du caveau du Centaure au contraintes du plateau de la Présence Pasteur qu’il faut rapidement pouvoir monter/démonter. Pendant trois semaines, la troupe du Centaure raconte quotidiennement le rapport de force entre la cruauté d’un professeur meurtrier et la douceur de la naïveté de son élève, jeune bachelière. À la fin, c’est bien le maître qui tue son élève dans la nécessité égoïste de souiller l’innocence et le refus de transmettre le savoir.
Pour la seconde pièce, il s’agit d’un souvenir précieux que Marja-Leena Junker conserve en elle. Un hommage dont elle nous parle lorsqu’on lui demande pourquoi elle a eu la nécessité de monter un spectacle musical atypique, avec une pianiste et une interprète (Anne Cadilhac, Dilia Gavarrete-Lhardit) autour des chants révolutionnaires d’Amérique du Sud, comme Hasta Siempre, El pueblo unido, Gracias a la vida, No pasaran ou encore Dos Gardénias. Comédie révolutionnaire en chansons pour deux comédiennes, un piano et 48 balles... de ping pong, comme l’annonce le programme. La folle nuit de la Cucaracha commence avec la rencontre improbable de deux jeunes femmes : la bourgeoise Delphine, qui a la tête dans le four et Dolores, employée de Gaz de France qui arrive à point. « Plaisir ! » Nous dit la metteure en scène, d’une élégance effervescente. « Je connais cette musique depuis ma jeunesse, je chantais ces chansons avec mes copines en Finlande croyant que la révolution était possible... Quand l’équipe de Marseille m’a demandé de travailler sur cette pièce que nous avons ensemble ‘inventé’ autour de ces chansons, j’étais ravie. Et je continue de rêver à une révolution. »
Hormis l’intérêt porté sur un spectacle divertissant et fort de sens, à la fois, il est intéressant de se questionner sur la volonté et le besoin quasi annuels de Marja-Leena Junker de venir faire Avignon : « Quand nous sommes venus ici la première fois (en 1999), il y avait 350 spectacles – aujourd’hui 1 300 – c’est fou ! L’esprit du festival Off est en train de changer, de plus en plus de petites vedettes du petit écran ou des acteurs de renom viennent y jouer. Le public remplit aussi leurs salles. Mais il y a aussi nombreux one man shows de qualité douteuse : je collectionne depuis quelque temps les titres de spectacle les plus horribles, en voici deux: Ma voisine ne suce pas que de la glace ou Le pet, le prout et le prof pour ne citer que ceux-là. En somme, le public du Off est aussi multiple que les spectacles offerts. Le Centaure a désormais un petit nom ici et des fidèles qui viennent nous voir chaque année. »
Elle estime aussi que pour les artistes luxembourgeois, il est essentiel de sortir du contexte luxembourgeois. De se confronter à un public différent, peut être plus exigeant, sans doute moins acquis et de pouvoir également voir et comprendre le travail des autres ainsi que leurs enjeux. « Passer trois semaines ici est vraiment formateur. On noue des liens très précieux. Je constate aussi qu’entre artistes, il n’y a pas de différences, ce ne sont que des différences de tempérament. En considérant le combat actuel des intermittents ici, en France ou en Belgique, la situation est difficile, mais elle n’est pas facile au Luxembourg non plus. Tout reste à faire chez nous, ne serait-ce qu’une véritable agence pour la diffusion des spectacles à l’étranger, comme cela existe déjà pour la musique. Pour nous, il est important de créer des spectacles : c’est notre vie. Je ne peux pas imaginer une société sans spectacle vivant ! »
Il serait judicieux de proposer plus d’outils et de soutiens à la diffusion des spectacles de théâtre luxembourgeois, qui ont, pour certains, un grand potentiel. Il existe, comme dans toute communauté bien structurée, un vivier de créateurs ou interprètes de théâtre qui souhaite se confronter différemment à la réalité, la réinterpréter, par le biais de textes existants ou écrits, ou bien de corps et d’images. Il y a en effet bien des jeunes talents ou bien confirmés qui ne demandent qu’à se nourrir davantage du regard posé sur leur travail par d’autres – ailleurs. Tout comme dans le secteur du cinéma, les quelques exemples de Luxembourgeois (Dan Tanson par exemple) qui ont eu le courage de se lancer et qui ont su être soutenus et encadrés de façon cohérente, continuent à naviguer. Les retombées sur le Luxembourg sont bien évidemment notables. Ne serait-ce que l’intérêt porté par un nouveau public ou bien l’acceptation des métiers du théâtre, en tant que tels.