Comment évoluer dans un monde a priori masculin, très technique et ce avec douceur ? Comment maintenir toujours le cap sur ses passions, les lier à son métier, à sa philosophie de vie et comment garder la tête froide ? Voici les principales pistes qui marquent le chemin de Nina Schaeffer. Une très belle blonde, la trentenaire, de noir vêtue, très nature et qui manie les gélatines de couleurs et les projecteurs avec une touche particulièrement féminine. Nina est lighteuse, comme on dit dans le milieu : une technicienne lumière dans le monde du spectacle et plus particulièrement dans celui des la musique. Elle travaille principalement pour l’Atelier, salle de concert presque mythique (qui a vingt ans d’âge) au sein d’une équipe de dix personnes, où elles sont trois filles – c’est déjà ça. Durant ses congés ou dès qu’elle le peut, elle accompagne lors de leurs tournées nationales, mais surtout internationales, les excellents Mutiny on the Bounty (post-hardcore indie rock) et, plus brièvement, Monophona (où l’acoustique se mêle à l’électronique sur la voix captivante de Claudine Muno).
Comment dire ? Nina Schaeffer est un personnage très particulier, elle brise chaque esprit sombre avec son sourire, parvient à adoucir les plus renfrognés, avec sa gentillesse et avec sa candeur, elle parvient à envoûter – la voyant, un peu camouflée par son look garçonne (forcément utile dans son contexte professionnel), on ne pourrait pas se l’imaginer faire autre chose. Elle illumine par sa présence et le transmet à ses effets de lumières, qu’elle nourrit en partie par son impressionnant bagage, qui est notamment né dans le milieu du théâtre et de l’opéra.
Dès son plus jeune âge, Nina souhaitait créer, mais ne savait pas exactement si elle voulait passer par le médium du dessin – qu’elle a longtemps pratiqué – ou la musique : elle joue de la basse. Mais assez rapidement, et par la force des choses, la musique a joué un rôle bien particulier chez elle. Elle a une oreille et un regard entraînés, car enfant déjà, elle accompagnait son père, Jean-Claude Schaeffer (fondateur du Jazzclub à Luxembourg) à toutes sortes de concerts, et notamment de jazz, même de free jazz. « J’adore me souvenir de ces moments, j’avais mon casque, mais j’entendais tout, chaque note et je voyais toutes ces lightshows qui soulignaient les compositions, comme un double langage », raconte-t-elle. « Le jour où j’ai vu le concert de Massive Attack à l’Atelier, c’était en 1997, j’ai été subjugué et je me suis décidée : je voulais absolument apprendre à faire des lumières et créer ce genre d’ambiances. » Elle était lycéenne à l’époque. À partir de ce moment, son parcours fut tracé et comme l’éclairage est une approche artistique, mais sa mise en pratique passe par une maîtrise technique, elle a débarqué tout d’abord à la Kulturfabrik en y demandant à faire un stage, encadrée par le technicien en chef, Frits Boross. « Au bout de trois semaines de ferme détermination de ma part, Frits, qui au départ avait été assez sceptique, a accepté à m’apprendre le métier, j’y connaissais rien en électricité, en physique de la lumière et en photométrie, en gradateurs, projecteurs, jeux d’orgues, câblage... je savais à peine me servir d’un tournevis. Il m’a tout enseigné. » Passé son bac technique, elle a continué à assister les techniciens lors des spectacles. Elle a longtemps travaillé comme freelance, un statut assez courant dans ce domaine.
Ensuite, elle a eu la chance de décrocher un contrat au Grand Théâtre qui sous la direction de Franck Feitler, venait juste de faire peau neuve. C’était en 2004 et c’était le théâtre le mieux équipé d’Europe. « J’y ai vu des merveilles, notamment la création Two Lips and Dancers and Space de Robert Wilson avec le Nederlands Dance Theater III – là aussi, je me souviens de chaque détail et surtout de mon émotion. » Nina y est restée deux ans et demie, en se formant notamment à la Monnaie de Bruxelles, où elle a eu à faire avec un tout autre monde, celui donc de l’opéra – qui comporte d’autres exigences, une autre discipline, qui développe auprès des techniciens une véritable foi. Ensuite, elle a eu besoin de revenir à la musique, elle a rejoint l’équipe de la Rockhal, à son ouverture, une période qu’elle qualifie de particulièrement excitante. Une fois de plus, elle a fait partie des pionniers d’un nouveau lieu, en y laissant une partie de son âme et de son assiduité à faire les choses bien, mais elle y a lié aussi beaucoup d’amitiés, sa famille. C’est pour cette raison principalement qu’elle souhaite continuer à travailler au Luxembourg, elle a besoin de ses proches. « Dans un métier comme celui-ci, où parfois ce n’est pas facile d’être une fille, les proches et les amis apportent un point d’ancrage – ici, je continue à savoir qui je suis et ce que je fais. » Les conditions luxembourgeoises sont également bien plus favorables pour un technicien. Et quant à la question du genre, ici elle est sans aucun doute amoindrie – le métier, tout comme beaucoup d’autres métiers liés aux arts du spectacle, étant tout de même encore embryonnaire, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Mais depuis une dizaine d’années maintenant, Nina observe un intérêt croissant de la part des femmes – elles s’aventurent notamment dans les milieux techniques du spectacle et en font leur vocation. Car, Nina le souligne, ce métier est un choix.
Nina convainc par la qualité de son exécution technique et l’ambiance qu’elle contribue à faire émerger – et dans son contact avec les autres, par sa douceur. C’est sans doute pour cette raison qu’elle sera stage and production manager dès demain au Rock-a-Field, accompagnant ainsi les artistes qui s’y produisent. Contrairement à l’image qu’on se fait d’un technicien, Nina ne hurle pas, ne s’énerve que rarement et pense que tout est tout simplement possible dans une carrière professionnelle – peu importe le chemin qu’on décide de prendre, elle en est une très belle preuve.