Co-produit par Jimmy DeBrabant de Delux Productions, Belle du Seigneur est l’adaptation du roman-fleuve éponyme de l’auteur suisse Albert Cohen, un chef-d’œuvre de la littérature de langue française. Initialement prévu d’être achevé dans les années 1930, la Seconde Guerre Mondiale a interrompu l’écriture de Cohen et le roman n’est publié qu’en 1968 par Gallimard, ceci à contre-courant des œuvres de l’époque. Pour l’ancien diplomate brésilien et fanatique de l’œuvre de Cohen, Glenio Bonder, l’adaptation du roman à l’écran fût également le projet d’une vie. Bonder a consacré pas moins de 25 ans à la lutte pour obtenir les droits d’adaptation de la famille de Cohen ainsi qu’à la recherche des producteurs qui puissent trouver les financements nécessaires afin de faire ce qui allait devenir son premier et son dernier film. Victime d’une maladie du sang, il est décédé pendant le montage et n’a jamais vu le film fini.
Solal des Solal (Jonathan Rhys Meyers), diplomate juif qui a obtenu le poste de sous-secrétaire de la Société des Nations à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, tombe éperdument amoureux d’Ariane d’Auble (Natalia Vodianova), une bourgeoise protestante, qui est mariée à un de ses employés. Solal essaie d’abord d’offrir son amour à Ariane en lui faisant une déclaration cachée sous les traits d’un vieillard qui s’introduit de façon illicite dans sa chambre. Ariane est répugnée par l’indiscrétion de cette avance et ne reconnaît pas Solal dans le vieillard. Hanté par l’image de cette femme qu’il a entraperçu la première fois dans un miroir lors d’une soirée – et donc hanté par l’idée qu’il s’en fait plutôt que par la personne qu’elle est, Solal doit se rabaisser au niveau de la séduction pure et dure, dans laquelle il excelle pourtant en tant que manipulateur donjuanesque froid et calculé. Dans une des plus belles scènes du film, Solal séduit Ariane en expliquant les dix leçons de la séduction au mari d’Ariane, sans que ce dernier ne sache que la séduction de Solal vise Ariane, son épouse, qui se trouve, pour la dernière fois, à ses côtés.
Ayant du conquérir sa proie par la domination virile à travers la violence des mots, Solal a échoué dans sa quête de l’amour pur. Ce qui s’ensuit est ce que maints couples connaissent : la première phase – l’amour dévoration –, la deuxième phase – l’amour ennui –, pour passer ensuite dans la troisième phase – la dénégation de l’amour à travers la jalousie, l’ensemble culminant dans la petite mort, voire occasionnellement aussi dans la plus grande.
Adapter à l’écran un pavé de mille pages revient à couper dans le tas, tout en essayant de conserver l’essence du chef-d’œuvre. Or, toute adaptation est subjective, Bonder n’y échappant pas. On peut déplorer que l’arrière-plan politique de l’histoire soit traité à la va vite alors que ce dernier aurait pu redoubler l’intensité de l’histoire d’amour tragique : le lien esquissé entre le diplomate juif (Solal) masturbé par une bourgeoise protestante (Ariane) devant des images en mouvement d’Hitler, réjouit les psychanalystes ; un juif (Solal) qui prédit l’ascension du fascisme à la SDN sans qu’il ne soit écouté, les historiens.
Mais plus inacceptables sont une ribambelle d’éléments dans le film qui sont absolument horrifiques à endurer en tant que spectateur et qui sont les signes d’une mise en images sans réflexion préalable à la plus grande image, celle du film fini : notons la sur-utilisation de la musique de Garbiel Yared, appliquée par grandes couches sur bon nombre de scènes où elle est tout simplement inutile, ainsi que les dialogues hyper-explicatifs que les deux protagonistes se balancent à la figure et qui, bien que dans le cadre d’un roman puissent trouver leur place vu que la part d’imaginaire du lecteur soit plus grande, sonnent tout simplement faux au cinéma, vu la nature indicielle de l’image qui propose au spectateur des êtres en chair et en os qui ne s’exprimeraient pas ainsi. Ou encore l’erreur de casting du mannequin russe Natalia Vodianova dans le rôle d’Ariane qui, mis à part une incarnation de la grâce sous forme d’une icône fixée sur pellicule n’arrive pas à endosser le rôle d’une passeuse de sentiments subtils que ressent son personnage à travers le temps de l’histoire. S’ajoutent à ceci des problèmes de rythme, amenés par des ellipses trop abruptes, sans véritable lien thématique, ceci dû en grande partie au parti pris de vouloir respecter la temporalité du roman.
Dommage, vu que l’histoire d’un homme qui tombe amoureux de l’image qu’il se fait d’une femme a déjà fait ses preuves en nous donnant un des plus beaux films de l’histoire du cinéma : Vertigo.