Le nouveau ministre des Communications et des Médias Luc Frieden (CSV) est venu avec sa fille à la Croisette afin d’y rencontrer le milieu cinématographique luxembourgeois. Il a même trouvé le temps de monter les marches du film Jimmy P. de Desplechin mais également d’aller voir TipTop, la coproduction luxembourgeoise, à la Quinzaine des réalisateurs. Plus important que le côté glamour du tapis rouge était la rencontre avec les professionnels pour s’immerger dans le milieu du film luxembourgeois, de comprendre son fonctionnement de l’intérieur, que Luc Frieden connaissait déjà un peu en tant que ministre des Finances, vu que les coproductions et les films luxembourgeois sont subventionnés en partie par des aides directes étatiques. C’est la rencontre avec les divers corps de métier qui était un moyen pour lui de mettre également des noms et des visages sur des chiffres. Ainsi, il a rencontré les producteurs, acteurs, scénaristes, réalisateurs et techniciens présents à Cannes.
Alors que le Luxembourg est sous les feux des projecteurs français avec trois pages dans le magazine du Monde du 17 mai, de nouveau au sujet de la prétendue délocalisation des films français tournés au Luxembourg, le ministre a répondu qu’il estime que chaque problème qui dépasse les frontières du pays – qu’il s’agisse du milieu de la banque, de l’industrie ou comme ici du film – doit être résolu sur le plan politique. Il attaquera ce défi avec la ministre de la Culture française Aurélie Filipetti, mais également avec le ministre des Finances Pierre Moscovici avec qui il s’entendra également sur la question du taux de TVA appliqué sur les livres. Selon Luc Frieden, les co-productions avec nos pays voisins doivent continuer, vu que le secteur du film luxembourgeois en dépend.
L’intérêt du secteur du film luxembourgeois, auquel Luc Frieden souhaite apporter le même soutien que son prédécesseur François Biltgen (CSV), se résume selon lui à trois dimensions : une dimension culturelle, une dimension de divertissement et un volet économique, sur lequel il met particulièrement l’accent. Le cinéma contribue à la diversification de l’économie luxembourgeoise, en employant à peu près 600 personnes. Il voit également dans ce secteur un moyen de création d’emplois pour les jeunes à qui il veut donner la possibilité de réaliser leurs perspectives d’emploi. D’autres ponts entre le monde de la finance et le monde du film pourraient être jetés. Dans un premier temps, il s’agit de contacter les banques et d’acquérir le know how hautement spécialisé requis pour le financement du secteur du film. Ce sont notamment des crédits avec des garanties légèrement différentes, vu qu’un film n’est pas un bien de service classique auquel on pourrait appliquer les mêmes règles que celles qui règnent dans l’économie de marché.
Luc Frieden s’était proposé à Jean-Claude Juncker (CSV) comme successeur de François Biltgen à ce poste. Il le voit comme un complément de son ministère des Finances, tout en mettant l’accent sur le fait que les Communications ne se limitent pas seulement au film. Le commerce électronique et les communications électroniques, SES et RTL, forment pour lui un ensemble où des interactions sont possibles. Quant au projet de loi, déposé par son prédécesseur François Biltgen, un avis du Conseil d’État est attendu par la Chambre des députés. La loi devrait être votée au cours de l’été.
Il n’y a pourtant pas que l’intervention ministérielle qui a lieu à Cannes : alors que les producteurs sont en train de chercher activement des co-producteurs pour des nouveaux projets de films, une ribambelle de jeunes cinéastes montrent aux programmateurs de festivals internationaux au Short Film Corner leur dernier court-métrage. Julien Becker et Gwen François de Skillab en font partie. Encore d’autres découvrent le jeu cannois comme la jeune réalisatrice Eileen Byrne, qui a obtenu une bourse du Filmfund afin de nouer des contacts avec des producteurs. N’ayant pour l’instant pas un projet concret à présenter à Cannes vu qu’elle travaille toujours sur deux films d’école, la jeune réalisatrice se dit contente de pouvoir découvrir ce monde un peu bigarré qu’est le festival de Cannes, où elle compte revenir dans un deuxième temps avec un scénario sous les bras. Cette année, le Filmfund a également élu Gilles Chanial, producteur chez Red Lion, pour le Producers on the Move, un programme qui permet aux jeunes producteurs prometteurs d’accéder à une plateforme de rencontres, d’échanges et de workshops autour du sujet de la production. Nico Simon, administrateur délégué du groupe d’exploitation Utopia, déniche à son tour de nouvelles productions susceptibles de sortir prochainement au Luxembourg, alors que Joy Hoffmann, Viviane Thill et Jean-Pierre Thilges, parmi d’autres, regardent les films en compétition afin de donner leur avis de critique de cinéma sur les œuvres en question en sortant des projections.
Au marché de Cannes, on trouve également le stand de Bob Bellion, ancien producteur chez Delux Productions, qui présente son nouveau projet Filmsoul. Il s’agit d’une nouvelle plateforme VOD (video on demand), qui, contrairement à iTunes, n’est pas aussi contraignante sur les normes techniques pour intégrer le catalogue en ligne, ce qui engendre des frais pour les producteurs qui peuvent aller de 2 000 à 4 000 euros. Bellion estime que c’est au producteur ou au distributeur de juger quelle qualité il veut fournir à Filmsoul. Dans un souci de donner une deuxième, voir une troisième vie aux films, Filmsoul est né d’une envie d’un ancien producteur afin de rendre accessible les films luxembourgeois qui ne sont souvent diffusés que pendant une durée assez courte en salles. Longs-métrages, courts-métrages, documentaires, fiction et animation, Bellion veut donner un accès de tous ces formats au contribuable luxembourgeois.
Le Filmfund soutient l’initiative de Bellion à condition que ce dernier ait l’aval du secteur. Si quelques producteurs se sont déjà inscrits sur la plateforme sans pourtant y mettre leurs films, il y a jusqu’à présent une certaine forme de réticence au projet Filmsoul. Sûrement aussi parce que la Poste propose le même service et que Paul Thiltges, en tant que conseiller du Filmfund, vient de signer un accord avec Tango Generation pour la diffusion des films luxembourgeois. Bellion dit que l’exclusivité n’est plus très importante pour les plateformes VOD et il ne s’arrête pas au Luxembourg : le continent africain, l’Amérique latine et étrangement les États-Unis sont des partenaires de discussion, vu que le film indépendant américain peine à être diffusé en Europe. Avec iTunes et maintenant Vimeo qui vient d’ouvrir leur plateforme VOD, la concurrence est pourtant rude. Selon Bellion la spécificité de Filmsoul est d’être un service gratuit pour les fournisseurs de contenu, et de proposer une diffusion partout dans le monde (à condition que le producteur possède les droits de diffusion pour les pays en question). Il a obtenu un accord avec la Sacem, à laquelle sont versés 2,5 pour cent des revenus. Le fournisseur de contenu fixe le prix du film (avec un maximum de trois euros en streaming et sept euros en download). 80 pour cent des revenus iront aux fournisseurs de contenu, 20 pour cent à Filmsoul.
Dans les coulisses de Cannes se crée ainsi à la fois l’économie des films que nous allons voir demain ainsi que la manière dont nous allons y avoir accès.