Et pour quelques centimes de plus À partir du premier janvier 2016, le lait bio luxembourgeois pourrait disparaître de la gamme Luxlait. Le 30 juin, huit membres, tous producteurs bio, ont adressé une lettre de démission à la coopérative. Il aurait été « surpris » par la démarche, dit le directeur de Luxlait, Claude Steinmetz. Deux mois après, il joue sur tous les registres de la communication de crise : minimalisation (« le bio, c’est un produit de niche »), résilience (« nous n’avons qu’à acheter du bio à l’étranger ») et bluff (« nous pouvons construire une chaîne bio en deux, trois ou quatre ans »). Mais rien n’y fait, commercialement et symboliquement, le départ de paysans bio constitue un signal désastreux. Plus de 300 références Luxlait, et aucune en bio ; voilà un étrange déphasage. Quant aux huit producteurs bio (un autre est parti à la retraite et un dernier restera à Luxlait), leur démission tombe à un moment où ils n’ont pas encore trouvé de nouveau partenaire. En plein milieu des négociations, ils se sont eux-mêmes mis sous pression pour trouver une solution.
Tous les impliqués disent vouloir éviter les pénibles polémiques et polarisations : dans le milieu laitier, le souvenir de l’épique guerre paysanne Berns-Mehlen de 1978 reste trop vivace. Claude Steinmetz n’a pas de liens familiaux avec le milieu paysan. Avant de rejoindre Luxlait en 2002, il a travaillé comme responsable des finances pour le fabricant d’ascenseurs Schindler et comme fund manager sur la place financière. Ce parachutage d’un outsider fut également un gage d’indépendance vis-à-vis de la tentaculaire Cepal. Aujourd’hui, Steinmetz doit composer avec les (res)sentiments des uns et des autres. Certains démissionnaires sont membres de Luxlait depuis des générations et ils décrivent leur départ comme une décision difficile et « émotionnelle ». Marion Didier, vice-président de Luxlait, parle d’un coup de tête « d’une ou deux personnes pour lesquelles la religion est la religion, et le bio c’est la leur. Ils ne mesuraient pas la chance qu’ils avaient. Nous les avons accueillis alors que personne ne voulait d’eux. » Le comité de Luxlait est dominé par des paysans plutôt âgés, de la vieille école productiviste et fiers de leur fidélité à la coopérative luxembourgeoise. Même si la paranoïa devant le « péril vert » s’est quelque peu estompée sur les dernières décennies, cette composition explique le peu d’enthousiasme à faire des concessions aux déserteurs bio. « Ces gars ne sont jamais contents, dit un membre du comité. Maintenant, la porte est fermée, et elle reste fermée. »
Mariage de raison, divorce à l’amiable L’alliance entre les deux coopératives Biog et Luxlait en 2000 fut un mariage de raison, pas d’amour. Luxlait avait eu vent que Biog songeait à établir sa propre laiterie à Munsbach ; elle préféra neutraliser d’entrée la concurrence naissante en l’intégrant dans ses structures. La Biog accepta, car, en réalité, elle ne disposait pas de fonds propres pour lancer sa laiterie. « Il y a quinze ans, la coopération avec Luxlait était une avancée géante. Qu’aurions-nous fait du lait invendu ? Nous aurions dû le jeter… », dit Änder Schanck, le fondateur et cerveau commercial du mini-empire Oikopolis (Biog, Biogros, Naturata). La Biog allait s’occuper de la commercialisation, le rôle de Luxlait se bornant au traitement, à la mise en carton et au recouvrement des excédents. D’après ses statuts, Luxlait est tenue de payer à tous ses membres le même prix par kilo de lait ; par conséquent, elle sous-paie le lait bio. Pour compenser ses paysans, Biog leur reverse treize centimes par kilo vendu (un « bioplus »). C’est là que se situe le nœud de la question. Car entre trente et quarante pour cent du précieux liquide bio finissent ou dans un emballage Luxlait ou en poudre de lait. En fin de compte, sur les treize centimes prévus, le paysan bio finit donc par toucher environ sept centimes. Sous la pression du décalage des prix – alors que le prix du lait conventionnel chute (28,80 centimes) celui du bio résiste (cinquante centimes) – le mariage de raison entre Biog et Luxlait se dégrade. Face à ce qu’offrent d’autres laiteries, disent les paysans bio, l’accord de 2000 ne serait plus tenable. La tentation est devenue trop grande.
Le paysan Francis Jacobs, qui s’est converti dans le bio en 1988, dit percevoir un intérêt économique inédit pour la filière bio chez ses collègues conventionnels. Or, ajoute-t-il, à ces curieux, il faudrait donner une perspective de stabilité. Et celle-ci passerait par une collaboration avec une laiterie à l’étranger, capable de reprendre les surplus bio à des prix bio. « Un prix correct, sinon on ira chez les voisins », c’est en substance sa revendication. Änder Schanck fixe l’ultimatum pour trouver un accord avec Luxlait au premier octobre. Après, dit-il, il faudra lancer l’impression de « nouvelles étiquettes ». (D’après nos informations, des négociations seraient en cours avec plusieurs laiteries en Belgique, Allemagne et aux Pays-Bas ; une production in house pour une partie des produits serait également envisagée.)
Un compromis semblait possible : les paysans fourniraient leur lait à Luxlait et le surplus à une laiterie étrangère, capable d’écouler du lait bio en dehors du marché luxembourgeois. Or, pour le comité de Luxlait, pas question que des camions-citernes de la concurrence étrangère fassent leur entrée dans les fermes de leurs membres. « Dans une Genossenschaft on représente des Genossen », dit le vice-président de Luxlait, Marion Didier. Il n’aurait pu accepter une solution qui aurait profité à huit membres et désavantagé les 374 restants. « Le comité doit représenter la majorité de ses membres, sinon il est fini. Et je ne vois pas de majorité pour réintégrer ceux qui ont démissionné. » Les statuts de Luxlait ne sont pas tendres avec les transfuges. Pour ceux qui veulent redevenir membres, les statuts prévoient un doublement du prix d’entrée.
Les quantités de lait bio fournies par les membres ont toujours été trop maigres pour remplir la lourde machinerie Luxlait. Donc, pas de beurre, de fromage ou autres produits à valeur ajoutée étiquetés « bio » et « made in Luxembourg ». Pour produire du lait UHT bio, Luxlait devait ainsi acheter du lait supplémentaire aux fournisseurs étrangers. Autant pour les fantasmes de pureté : l’UHT bio luxembourgeois n’a jamais été luxembourgeois. De toute manière, pour les adeptes du bio, le certificat « made in Luxembourg » n’est pas la référence. En prenant en compte le soja, les pesticides, les antibiotiques et le diesel importés pour faire tourner les fermes, ils arrivent à la conclusion que l’agriculture conventionnelle, quitte à se réclamer « nationale » n’a plus grand chose à voir avec le terroir.
Pacte productiviste N’ayez crainte, produisez autant que vous pouvez, nous nous occuperons de tout écouler – en Chine, en Europe, en Afrique ou en poudre. Voilà, en substance, la teneur du pacte expansionniste proposé par Luxlait à ses membres. Quatre mois après la fin des quotas, la production luxembourgeoise aurait augmenté d’environ neuf pour cent, estime Claude Steinmetz. Si Luxlait est tenue d’accepter tout le lait produit par tous ses membres, la grande question reste : à quel prix ? Les bénéfices de Luxlait sont rabattus tous les mois sur les prix. Or, à deux centimes près, les trois laiteries auxquelles livrent les agriculteurs luxembourgeois – Luxlait (soixante pour cent), Arla Foods/Muh (trente pour cent) et EKB/Lactalis (dix pour cent) – ne se différencient guère. Cet été, elles paient entre 27 et 29 centimes, c’est-à-dire en-dessous du coût de fabrication, qui, lui, est estimé à trente centimes.
Les prix commencent à s’approcher de ceux de 2010, lorsque le kilo de lait était tombé à 25 centimes, un précipice après les sommets de quarante centimes en 2007 (avant que la courbe ne rejoigne ces niveaux en 2013). Même cycle économique, même cycle politique et médiatique ; les paysans bloquent les routes, les politiciens promettent de promouvoir l’agriculture ou lancent des appels impuissants à « consommer national ». Pour Luxlait, ce chauvinisme alimentaire a eu d’infortunés effets secondaires. Ainsi, son lait caillé vient de se faire éjecter des supermarché Dia en France, qui « épure » ainsi ses rayons laitiers.
« Mol direkt geraumt ginn » La fin des quotas laitiers de cet avril a provoqué deux réactions : l’attentisme et la frénésie. Au printemps, RTL-Télé diffusa un reportage sur le secteur laitier qui souleva un petit tollé dans le microcosme paysan. Cédric Schanck, un jeune paysan-entrepreneur qui venait d’agrandir la ferme familiale à 410 vaches en prévision de la libéralisation, y déclarait avec un grand accent de l’Ösling : « S’ils n’avaient pas fait de quotas à l’époque, dann wier mol direkt geraumt ginn bei de Baueren. » Au moment où le secteur s’attend anxieusement à une restructuration, Cédric Schanck a eu l’indélicatesse de se compter parmi les vainqueurs, et, implicitement, les autres parmi les perdants.
Marion Didier se veut philosophique : « J’ai 61 ans ; j’ai vu des petits devenir grands et des grands devenir petits. Mais vous pouvez tout produire, sauf une chose : la terre. Et cela restera ainsi à l’avenir. » Si les expansionnistes ont mauvaise réputation, c’est qu’ils font monter la pression sur les baux. Marc Koos, un paysan laitier de la commune du Lac-Haute-Sûre, travaille avec une cinquantaine de vaches, ce qui constitue la moyenne pour les exploitations agricoles. « Je préfère sombrer avec cinquante vaches plutôt qu’avec 500, dit-il. Je travaille sans aide extérieure, et je peux quand même emmener ma femme pour une sortie. » Faire le saut dans l’expansion ? Il préfère ne pas. « Sinon, dans quelques années, mon nom sera peut-être toujours sur la porte, mais en vérité la banque sera le maître des lieux. » (Du moins pour ceux qui n’ont pas connu l’aubaine de voir une partie de leurs terrains tomber dans la zone constructible.)
Depuis 1984 (l’année d’introduction des quotas), le nombre d’exploitations laitières est passé de 2 405 à 718. Or, tandis que le nombre de vaches a diminué de 70 569 à 46 127, leur rendement laitier a doublé. Ces vaches laitières nouvelle génération ont des rythmes de production et de reproduction accélérés. L’herbe ne suffit plus, elles carburent grâce à des denrées importées comme le soja ou le maïs, puis meurent, épuisées. Leur durée de vie moyenne n’est que de cinq ans et demi ans au lieu de huit ans auparavant.
Jeff Boonen, le président des Jongbaueren a un profil atypique. Diplômé de l’Université catholique de Louvain (avec une maîtrise sur le marché du lait luxembourgeois), ce bio-ingénieur fait figure d’intellectuel-paysan. « Avec cent vaches on vit très bien, avec 400, on s’éloigne de la ferme familiale. Il faut des capacités de mangement, du personnel, du terrain. Or vous n’amortirez pas un investissement dans une nouvelle étable avec moins de 80 vaches. Chaque jeune qui reprend une ferme doit faire le calcul. » Produire pour un marché global très volatile lui pose problème. « Je pense qu’il est temps de mettre en question cette libéralisation que nous [les paysans] avions voulue. À commencer par le TTIP. Je me demande pourquoi aucun membre du gouvernement n’est critique vis-à-vis de ce traité ? Pourquoi disons-nous tous que c’est une grande chance ? » (Sur le sujet, Claude Steinmetz affiche une certaine neutralité, même si, pour certains de ses produits, il pense voir « une opportunité ».)
Luxlait en Afrique Bon gré, mal gré, Luxlait doit survivre sur le marché international. Elle y écoule tout ce qu’elle n’arrive pas à vendre au Grand-Duché. « Ce sont d’autres prix que sur le marché luxembourgeois », concède Steinmetz. Des camions partent vers les pays voisins, des cargos vers la Grèce, la Turquie, le Moyen et le Proche Orient et la Chine. Luxlait dit exporter autour de soixante pour cent de sa production. Que la coopérative livre du lait jusqu’en Mauritanie, au Ghana ou au Congo pose la question de la cohérence des politiques, notamment avec celle de l’aide au développement. « Il faudrait changer beaucoup, au niveau mondial. Or c’est une autre discussion, géopolitique, dit Steinmetz. Luxlait ne peut rien y changer. Nous ne livrons que là où les autres, comme Lactis ou Arla Foods, livrent également. » Signés le 11 juillet (mais non encore ratifiés, notamment à cause de l’opposition du Nigéria), les accords de partenariat économique entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe promettent de nouveaux marchés aux surplus européens transformés en lait de poudre dont les droits de douane passeront de cinq à zéro pour cent dès 2020. « Une bonne nouvelle pour nos producteurs européens, une mauvaise pour la fragile filière laitière africaine », estime Martine Lefebvre de SOS Faim.
Clientèle captive Au Grand-Duché, Luxlait peut compter sur une clientèle « captive » ; ceux qui ont consommé ses produits depuis tout petits et qui y restent attachés. Or, leur part dans la population baisse, rendant plus difficile l’écoulement de la production. Pour préserver ses prix relativement élevés dans son arrière-cour, Luxlait refuse de traiter avec les discounters. Elle ne livre ni à Colryut, ni à Aldi, ni à Lidl. Aux autres chaînes de supermarchés actifs au Luxembourg elle fait des « recommandations de prix ». « Nous ne fixons pas les prix, ce serait illégal », explique Steinmetz. En 1996, Luxlait et Auchan s’étaient empêtrés dans une drôle de guerre. La chaîne française dut ouvrir ses portes sans produits Luxlait dans ses rayons, avant de finir par se rendre. Lorsque le discounter belge Colruyt débarque, il approche également Luxlait. « Nous n’avons même pas réussi à leur soumettre une offre, dit Steinmetz. En gros ils nous disaient : ,Toi, petit, tu nous livreras à partir de demain. Sous nos conditions.’ Par après, ils ont même fait pression via des politiciens belges. »
Bottermëllech, un « produit ethnique » Alors que le prix de la matière première s’effondre, les produits transformés continuent à se vendre à un prix plus ou moins soutenable. Au niveau mondial, Luxlait et ses 140 millions de litres reste un petit acteur (Lactalis, le numéro un mondial, collecte 14,6 milliards de litres). La coopérative luxembourgeoise tente de survivre dans la niche avec une gamme complète comptant autour de 300 références (c’est-à-dire d’emballages différents) : eggnog et cottage cheese (conçus pour les bases américaines de Ramstein, Bitburg et Gemmersheim), cancoillotte et gouda, galettes et madeleines, pralinés glacés et lait Raïb... Il faut prospecter les marchés, apprendre, affiner et adapter des recettes, lancer le marketing, imprimer des étiquettes en cyrillique (mises au pilon après le boycott russe) ou en arabe. Luxlait cible également les minorités en Europe par ce qu’elle appelle des « produits ethniques »: elle a développé trois ans durant un yaourt turc pour le marché allemand, vend du lait caillé aux Français et Belges d’origine maghrébine et s’est fait certifier « halal ». Que, sur ses étiquettes, Luxlait ait mal traduit « lait caillé » par « lait fermenté » (avant de redresser la faute) ou que la marque « Funny Drink » ne passe pas forcément bien auprès des anglophones, ne sont que des malentendus culturels mineurs.
Luxlait sert des segments du marché considérés comme trop petits par les très grands. Or, ce manque de spécialisation risque de s’accorder avec un manque de rentabilité. Ainsi, pour lancer une ligne de production quelques heures durant, avant de devoir laver l’outillage et passer à la prochaine, Luxlait a besoin de beaucoup de main d’œuvre. « Le Kachkéis ne tourne pas sept jours sur sept en trois-huit, mais il reste rentable », dit Steinmetz. Luxlait préfère la niche à l’efficience, or, disent ses détracteurs depuis maintenant vingt ans, elle devrait se concentrer sur les basiques et quelques produits porteurs.
Muh (pour Milch-Union Hocheifel) était le leader européen de l’UHT. Ultra-moderne et ultra-efficiente, elle faisait de très petites marges sur de très grandes quantités de UHT. Roby Mehlen, qui y siégeait dans le CA en tant que président du Fräie Lëtzebuerger Baureverband (qu’il avait conduit dans cette laiterie), se souvient « de vingt machines travaillant 24/7. Luxlait a une machine UHT, et elle tourne au mieux quelques heures par semaine ». Claude Steinmetz aime à citer Muh, l’ancienne ennemie héréditaire de Luxlait, comme antithèse et contre-exemple. Muh resta cantonné sur un produit et sur un segment, livrant quasi-exclusivement aux discounters ses briques Tetra de lait UHT. Il a suffi que Aldi, Lidl & Co baissent leurs prix de quelques centimes, pour que la laiterie frôle la faillite. (En 2012, elle dut fusionner avec le scandinave Arla Foods.)
Mais malgré ses efforts, Luxlait est obligée de se défaire d’une bonne partie de son lait cru à la Solarec de Libremont-Chevigny, où il est transformé en poudre. Selon Claude Steinmetz , dix pour cent du chiffre d’affaires proviendrait de cet export, or il n’en dira pas plus sur la proportion livrée. Dans le milieu laitier, on l’estime à un quart de la production, une estimation jugée « exagérée » par la direction de Luxlait.
1,5xRoyal-Hamilius À chaque politicien qui se respecte, une visite de Luxlait s’impose. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) y fit une apparition lors de sa dernière campagne électorale pour exprimer son attachement à l’agriculture (« auf eine geistige und auf eine gefühls-mäßige Art »), Xavier Bettel (DP) la visita dans les premiers mois de son mandat, car, déclara-t-il, Luxlait « appartient au patrimoine luxembourgeois. » Au Rost, ils purent admirer une fabrique gigantesque née d’un marché immobilier déjanté. En 2006, Luxlait vend son ancien terrain en plein cœur de Merl au promoteur belge Thomas et Piron et à Fortis Real Estate Fund (qui allaient y construire « Les Jardins du Luxembourg »), et touche le jackpot : 136,5 millions d’euros. Grâce à une cinquantaine de millions d’euros en subsides étatiques, les paysans laitiers se construisent une gigantesque laiterie sur un pré vert dans une triste zone industrielle à quelques kilomètres de la fabrique de pneus Goodyear. 158 millions d’investissements sans s’endetter. La politique avait aidé à trouver un terrain. Claude Steinmetz aime à répéter l’anecdote. Ainsi en 2009, face à un journaliste du Quotidien : « Si l’affaire est allée de l’avant, c’est grâce à une rencontre fortuite entre Fernand Boden et plusieurs dirigeants de Luxlait qui se trouvaient au même moment sur la Moselle à bord du Marie-Astrid pour une soirée Art et… vins ! Le ministre a promis qu’il nous soutiendrait pour trouver des terrains. Il a tenu parole. » C’est une illustration de ce que nationbranding.lu aime à appeler « le Luxembourg way of doing things ».
Ce qui avait réussi avec Merl, Luxlait tente de le recréer avec son ancienne Laiterie du Nord (Laduno) à Erpeldange. Il s’agit d’une ruine industrielle sur les abords du village, dont une tempête a enlevé une partie du toit l’année dernière. Coup de chance, elle se situe en plein axe central de la Nordstad, reliant Ettelbruck à Diekirch. Les terrains furent donc reclassés en « zone mixte à caractère central », ce qui veut dire que les promoteurs pourront y construit de manière très dense. Luxlait voulait vendre le terrain avec un PAP, elle fut servie. Voté par le conseil communal en mars, le PAP englobe 55 000 mètres carrés (le projet Royal-Hamilius n’en compte que 36 000), huit immeubles futuristes mesurant jusqu’à dix étages et dont le plus haute fera quarante mètres de haut, un « phare » pour une Nordstad qui peine à se matérialiser.
Katz am Sack Le projet se lit comme un fourre-tout. Toutes les idées du Masterplan Nordstad semblent y avoir été recyclées : wellness center, hôtel, gastronomie, centre commercial, surfaces de bureaux. Manque juste le cinéma (prévu à Diekirch), et on se croirait à Belval. Or, le diable est dans les détails : 31 635 mètres carrés prévus pour des bureaux (57 pour cent du projet) contre 4 995 mètres carrés (neuf pour cent) pour le logement. Le PAP fixe le maximum d’entités d’habitations à cinquante. La raison pour ce déséquilibre est prosaïque : la commune ne voulait plus bâtir de nouvelles écoles et maisons-relais. « Cela dépasse nos capacités », dit Romain Pierrard, échevin à Erpeldange. (Surtout qu’au centre d’Erpeldange, la commune planifie 620 nouveaux logements dans les quinze années à venir sous le slogan « vie moderne dans l’espace rural ».) Comment remplir ces bureaux ; un frontalier lorrain poussera-t-il jusqu’à la Nordstad ? Pierrard concède que « ce ne sera pas évident ». Ceci expliquerait « qu’aucun promoteur n’ait sauté sur le projet ». Ce qu’il faudrait, pense-t-il, ce serait « du courage ». Il place ses espoirs dans la venue d’administrations publiques : « Nous avons intérêt à ce que la décentralisation propagée par le gouvernement soit mise en œuvre », dit-il.
Début octobre, Claude Steinmetz se rendra à l’Expo Real de Munich pour tenter d’y trouver un investisseur prêt à mettre plusieurs centaines de millions d’euros sur la table. D’après nos informations, les paysans de la coopérative laitière seraient intéressés à « placer leur argent » dans le projet et à y entrer à hauteur de trente pour cent. Steinmetz temporise. : « Rien n’est clair […] il n’y a pas d’urgence […] nous devrons voir s’il y a des investisseurs, puis discuter avec les ministres, après on verra. » Le directeur de Luxlait ne cache pas qu’il aurait préféré voir plus d’appartements et moins de bureaux. Mais, glisse-t-il, un PAP peut être modifié.
Jean-Paul Schaaf, le maire CSV d’Ettelbruck connaît intimement l’usine Laduno, puisqu’il y a vécu durant dix ans (son père en était le directeur). Avec les précautions d’usage, il critique le PAP, « un corps étranger à Erpeldange », qu’il voit comme une menace pour les commerçants de sa ville. « Ce qui me gêne c’est la haute proportion de commerces. Il n’y a pas eu de concertation avec les autres communes de la Nordstad. » Si l’impôt commercial s’annonce juteux, la petite commune d’Erpeldange semble dépassée par l’ampleur du projet Laduno. Sur les neuf conseillers communaux erpeldangeois, seul Marc Weisgerber a voté contre. « J’étais mal à l’aise, explique-t-il. Claude Steinmetz nous explique qu’il a besoin d’un PAP pour trouver un investisseur, mais j’ai l’impression qu’on a acheté un chat en poche. Un hôtel ; quel genre d’hôtel ? Des magasins ; lesquels ? Qui sera l’investisseur final ? Je n’ai pas eu de réponses à ces questions. Il y a beaucoup de flou. Or je ne vais pas signer un chèque en blanc pour maximaliser les profits du vendeur. »