L’archidiocèse a informé jeudi dernier mettre fin à sa « coopération pastorale » avec Verbum Spei, et ceci « avec effet immédiat ». Il y a presque dix ans, Jean-Claude Hollerich avait confié – malgré les réticences exprimées par ses conseillers – l’aumônerie de l’Uni.lu à cette fraternité née au Mexique en 2012. Le cas Verbum Spei illustre les risques de sa stratégie qui mise sur des groupes exaltés (et donc dynamiques) pour mener l’évangélisation en terre de mission luxembourgeoise. Le cardinal met aujourd’hui le holà. Le Centre contre la radicalisation, Respect.lu, commençait, lui aussi, à se pencher sur Verbum Spei. Face au Land, la directrice, Karin Weyer, se dit soulagée que l’Église « prenne ses responsabilités ». La réaction de Hollerich est tardive. Pas plus tard qu’en avril 2024, il ordonnait prêtre un membre de Verbum Spei, lors d’une grande cérémonie à Esch. « L’Église du Christ au Luxembourg exulte », lisait-on dans un compte-rendu dithyrambique publié sur cathol.lu.
Le communiqué épiscopal évoque de « nouvelles connaissances acquises quant au danger potentiel de la doctrine philosophique de ‘l’amour d’amitié’ […] et les conséquences néfastes que sa mise en pratique de celle-ci peut avoir ». Ces « dangers » sont en réalité connus et thématisés depuis fort longtemps, tant au sein de l’Église que dans la presse. Hérité de Thomas d’Aquin, le concept de « l’amour d’amitié » a été dévoyé par Marie-Dominique Philippe, un moine dominicain décédé en 2006. L’archidiocèse évoque pudiquement des « déviances ». Dans une longue enquête parue en avril 2023, Le Monde avait fait une caractérisation plus explicite : « Une doctrine spirituelle délirante qui, pour faire court, magnifiait tout acte sexuel en sacrement de l’amour divin », rappelant les sanctions canoniques prononcées dès la fin des années 1950 contre Philippe pour abus sexuels et spirituels.
Verbum Spei aurait gardé « un attachement toujours actuel » à la personne et aux enseignements de Marie-Dominique Philippe, écrit l’archidiocèse. Hollerich était au courant de cette fidélité : « Ils pensent encore qu’il n’est pas coupable. Ils avaient d’ailleurs affiché une photo de lui dans leur réfectoire, j’ai exigé qu’ils l’enlèvent », disait-il en avril 2023 au Monde. Or, ajoutait le cardinal à l’époque, il ne regretterait « absolument pas » d’avoir accueilli la fraternité à Belval : « Ces jeunes prêtres font du bon travail et suscitent pas mal de vocations ».
Dans une série d’articles parus en 2021, Reporter avait thématisé Verbum Spei et ses « vieux démons ». Le média avait également révélé que le prêtre responsable de l’aumônerie universitaire avait une liaison avec une étudiante, de laquelle sont nés deux enfants. (Le prêtre a été défroqué par le Vatican il y a quelques mois.) Dans son communiqué, l’archidiocèse souligne que la « dame » était « majeure au moment des faits ». Jean-Claude Hollerich l’aurait reçue en juin dernier. Face à RTL-Radio, le porte-parole de l’Église, Gérard Kieffer, explique que cette rencontre aurait « déclenché une véritable crise de confiance ». Il y aurait eu « une rupture », les frères de Verbum Spei n’ayant pas respecté leurs engagements pris vis-à-vis de Hollerich : « Den Detail kann ech Iech do net nennen, deen ass tëscht dem Bëschof an hinnen ».
Verbum Spei a réagi ce dimanche sur son site Internet : « Nous recevons dans l’obéissance et l’humilité la décision de l’archidiocèse du Luxembourg ». Les frères assurent être « fermement opposés à toute forme d’abus », tout comme à « toute forme d’infidélité à nos vœux », notamment de chasteté. L’archidiocèse tient, elle aussi, à préciser qu’« aucun membre de la fraternité Verbum Spei n’a été accusé d’avoir commis un abus sexuel pendant leur présence au Luxembourg. » Le communiqué se termine par la précision qu’« un prêtre de la Fraternité Verbum Spei est déchargé avec effet immédiat de sa fonction d’exorciste ». (Il ne reste donc plus qu’un exorciste au Grand-Duché, l’abbé bénédictin de Clervaux.)
C’est le grand paradoxe hollerichien : Considéré comme libéral au Vatican, le cardinal fait preuve d’une étrange prédilection pour les groupes fringe dans son fief luxembourgeois. Il n’a pas seulement installé Verbum Spei à Belval, mais également le séminaire Redemptoris Mater au Kirchberg et les Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matara au Cents. Il a surtout reconnu les très droitiers Scouts d’Europe, ne cachant pas son mécontentement vis-à-vis des Lëtzebuerger Guiden a Scouten, trop sécularisés à son goût. Les messes eschoises de Verbum Spei faisaient le plein, attirant notamment des catholiques français réputés plus tradis. Des membres de la fraternité avaient également assuré une partie de l’accompagnement musical du baptême du prince Charles.