Wikileaks s’est lancé dans une campagne qui évoque les récompenses pour la capture de criminels « morts ou vifs » des westerns pour parvenir à dévoiler le projet de pacte commercial TTIP que négocient ces mois-ci les États-Unis et l’Union européenne. Cela fait quelque temps que la plateforme des sonneurs d’alerte avait annoncé son intention de publier ce texte. Manifestement, le simple appel aux bonnes volontés de ceux qui qui peuvent mettre la main sur ce document et se sentiraient une vocation de whistleblower n’a pas suffi jusqu’à présent. Wikileaks a donc annoncé vouloir lever des dons à l’aide d’une campagne de crowdfunding pour rassembler 100 000 euros, qui seront remis à la personne qui lui fournira le texte en discussion dans le plus grand secret entre les deux puissants blocs économiques.
Si c’est l’appât du gain qui doit motiver le sonneur d’alerte éventuel, il faudra qu’il choisisse de faire confiance à ceux qui ont émis des promesses de dons – les sommes promises ne sont pas consignées. Parmi les premiers « donateurs » figure l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis, le journaliste Glenn Greenwald, qui a aidé Edward Snowden à faire ses révélations, le sociologue Evgeny Morozov, ainsi que le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, qui depuis sa résidence forcée londonienne a motivé la démarche de Wikileaks par « l’ombre sur l’avenir de la démocratie en Europe » que porte à ses yeux le projet d’accord commercial. « Sous cette guise, des intérêts privés se déchaînent, de manière très comparable à ce que nous avons vu lors du récent siège financier contre le peuple grec. Le TTIP affecte la vie de chaque Européen et entraîne l’Europe dans un conflit à long terme avec l’Asie. C’est aujourd’hui qu’il faut mettre un terme au secret », a asséné l’Australien.
D’autres personnalités ont par la suite promis des contributions, dont l’activiste et designer britannique Vivenne Westwood, le sonneur d’alerte Daniel Ellsberg, le réalisateur Terry Gilliam et le philosophe slovénien Slavoj Žižek. Quelque 36 pour cent du montant visé ont à ce jour été promis par plus de 850 personnes, selon la page « Wikileaks’ Most Wanted » de l’organisation.
Les adversaires du TTIP, qui pour la plupart réclament la publication du projet d’accord dans l’espoir que cela le torpillera définitivement aux yeux des opinions publiques européennes et américaine, ont-ils des raisons d’espérer que le texte convoité sera finalement publié grâce au recours à cette récompense ? Wikileaks a aussi fait tout son possible pour publier les textes des deux autres accords commerciaux « de nouvelle génération » en devenir, le TTP négocié entre les États-Unis et ses partenaires côté Océan Pacifique, ainsi que l’accord global portant sur les services, le TISA. Pour le premier, Wikileaks a également offert une récompense, de 100 000 dollars dans un premier temps, portée par la suite à 150 000 dollars, dont 70 pour cent ont été couverts par 1 700 contributeurs. Pour l’heure, seuls trois chapitres mineurs du projet d’accord, sur un total de 26, ont été obtenus par l’organisation. Celle-ci a eu plus de chance pour TISA : en juillet dernier, Wikileaks a commencé à publier des extraits significatifs de la dernière version de l’accord prévu sur les services, incluant pour la première fois dans cette livraison le chapitre sur les soumissions publiques. On connaît donc désormais les principales dispositions envisagées pour « libérer » le commerce international sur les services, notamment pour ce qui est du transport maritime, de l’e-commerce et des services financiers. Pour Wikileaks, le contenu de ce projet d’accord confirme les craintes nourries par les opposants à ces traités, notamment ceux d’une privatisation accélérée des juridictions compétentes pour les litiges commerciaux internationaux et d’une éviscération des réglementations nationales afin de donner les coudées franches aux entreprises multinationales.