Balade à Bonnevoie. L’idée est séduisante. Car le quartier, plus que nul autre de Luxembourg, fourmille de vie. L’habitat y est dense, les magasins d’alimentation et autres commerces de proximité, restaurants et cafés pullulent, toutes les générations, cultures et langues y cohabitent. Un argumentaire d’agence immobilière quasi huilé à la perfection. Et pourtant, il n’en est rien. Bonnevoie reste un quartier marginal. Pas assez chic ou pas assez calme ou pas assez « luxembourgeois ». Exécré par certains et acclamé par d’autres. Ces derniers, souvent jeunes et à la bourse légère. Et les autres, qu’en est-il ? Ils s’en acclimatent. Car soit ils (les Luxembourgeois de souche) y ont toujours vécu soit ils (les Portugais et Capverdiens) y habitent de par les prix modérés. Qu’attendre de cette « promenade à travers la poésie du quotidien de Bonnevoie » organisée par Maskénada ? A priori quelque chose qui s’apparenterait avec un Walk & talk de la Fondation de l’architecture parsemé de rencontres avec les habitants. Ces pressentiments se vérifieront-ils ?
Le rendez-vous est fixé devant la Banannefabrik. Puisque c’est là que les organisateurs, le collectif d’artistes des arts du spectacle et du visuel Maskénada, ont leurs bureaux. Le groupe est très compact, curiosité et beau temps obligent. Rien n’a commencé, mais la magie opère déjà ; les trottoirs et les cours intérieures grouillent d’enfants, en mal de jardins, qui jouent, gais et insouciants. Avant de nous mettre en route, distribution de craies pour que nous puissions laisser des messages à même le trottoir. Mais peut-être est-ce un peu trop tôt. Premier rond-point, première halte. Nous sommes invités à lever les yeux vers les messages que portent les branches des arbres, mais surtout à regarder autour de nous la diversité sans fard des façades qui nous entourent. Ou quand l’insignifiant prend tout son sens. Puis direction le Foyer Ulysse, à la fois lieu d’hébergement et socio-éducatif pour toute personne « sans abri ou en danger de le devenir ». L’intérieur est froid, aseptisé, fonctionnel. On y écoute des histoires de travailleurs et de « clients » censées tisser un lien social et combattre les préjugés. Au début, on croit avoir affaire à d’authentiques personnels et pensionnaires, on s’en trouve mal à l’aise de voyeurisme d’ailleurs. Puis le tout prend vite la tournure d’une comédie musicale et le pot aux roses est forcément découvert. Alors, à quoi bon ? Le rendez-vous avec la triste réalité est raté et les préjugés ne s’envolent pas par le seul biais de la fiction. De fiction-réalité, il en sera à nouveau question lors du spectacle Haus Blann Mariechen, un spectacle théâtral déambulatoire à travers les nombreuses pièces d’une bâtisse à l’allure désaffectée, mêlant audio, vidéo, installations et performances, un spectacle participatif auquel les habitants ont contribué en fouillant leur mémoire et leur grenier. Un plongeon dans le temps qui fait bon ménage avec la narration poético-artistique.
Le reste désormais se déroulera à l’extérieur. L’on passera devant une fresque picturale portraiturant le Bonnevoie d’hier et d’aujourd’hui, l’on s’interrogera devant un horaire des chemins de fer dont certains trains ne parviennent jamais à destination et d’autres arrivent avant même de partir, l’on se questionnera sur la fonction de place publique, lorsque celle-ci, malgré une marelle, n’accueille pas d’enfants car peuplée de marginaux, l’on humera de délicieuses odeurs de sardines grillées, l’on se rafraîchira à la Bouneweger Stuff de la meilleure limonade maison jamais bue, l’on se sentira tout du long accompagnés visuellement et sonorement par les avions et nos pas nous mèneront sans lassitude jusqu’au terminus, la cour du Couvent, où se joueront sous nos yeux ébahis des micro-scènes colorées et loufoques entre artistes et habitants du quartier.
Au final, un projet interdisciplinaire plus artistique qu’authentique, porté entre autres par Alexandra Bentz, Luisa Bevilacqua, Gianfranco Celestino, Larisa Faber et Misch Feinen tout en sensibilité, qui traîne parfois en longueur, mais frais et alternatif, construit hors les murs, et dont le plus grand mérite présent est d’exister et futur de faire des petits. Et même si parmi ceux qui ont pris part à l’excursion, peu ont eu la curiosité de découvrir leur quartier autrement, car peu venaient de Bonnevoie, des rideaux se sont tirés, des pas de porte se sont peuplés, des promenades se sont arrêtées, des sourires sont apparus, des mains se sont levées, le temps d’une très jolie communion.