Personne ne va lire cet article, et c’est bien dommage parce que je me demande, du coup, si je ne ferais pas mieux de retourner boire une bière sous mon parasol. Quand je dis « personne », évidemment, j’exagère. Mais un sept août, au Luxembourg, il faut reconnaître qu´il ne reste sans doute pas grand monde. Tout doit être aussi calme qu’un dimanche matin au Kirchberg. Comme les autres années, on peut parier que la capitale aura été colonisée par des touristes découvrant l’Europe en deux semaines d’autobus, et que toutes les entreprises ont laissé les clefs de la boutique à des stagiaires ou des jobs d’été. D’ailleurs, les visiteurs ont sans doute l’impression, de ce fait, que le Luxembourg est un pays où la population est très jeune et la température moyenne très élevée. C’est une chouette image à emporter en souvenir, une illusion presqu’aussi belle que de prendre la tour de la Spuerkess pour le donjon de la Belle au bois dormant (ou du Palais grand-ducal).
Toutefois, cette prise de pouvoir temporaire de la jeunesse a beau être rafraîchissante, faites attention si vous allez acheter des fruits et légumes chez Cactus. Il n’est pas impossible que le jeune homme chargé de peser vos sachets ne fasse la différence entre une courgette et une aubergine que depuis le 15 juillet, grâce à une formation accélérée destinée à lui apprendre le nom des aliments dont peut se nourrir un être humain en dehors des pâtes, des pizzas et des kebabs. Alors imaginez s’il doit reconnaître si des pommes sont des Jonagold ou des Royal Gala... C´est comme s’il vous demandait de jouer à Minecraft. Chacun ses compétences.
On imagine que dans certains endroits, toutefois, ce sont de vrais employés qui se dévouent pour assurer la survie en période estivale, par exemple pour garer les Boeings chez Cargolux, ou conduire les cambrioleurs à Schrassig. Dans ces endroits, le job d’été c’est souvent trier les archives dans l’ordre alphabétique, les enlever de classeurs rouges pour les mettre dans des classeurs verts afin que, l’année suivante, un prochain job student les remette dans des classeurs rouges et les trie dans l’ordre chronologique. Avoir l’air occupé, c’est formateur. À l’âge où la plupart des enfants ont sans doute compris qu’ils ne seraient ni astronautes, ni archéologues, un job d’été est une belle occasion de continuer à se rendre compte du vrai visage de son avenir professionnel.
Ils apprendront ainsi que ce n’est pas parce qu’ils n’ont rien à faire, qu’il faut aller embêter les autres en leur demandant du travail. Du moment où cela ne se remarque pas trop, où ils arrivent et partent à l’heure, ne rien faire est d’ailleurs sans doute ce qu’ils peuvent faire de mieux : ça minimise le risque de faire des erreurs. Et, en plus, ça laisse du temps pour aller sur Facebook ou WhatsApp. Alors, certes, au début c’est sans doute un peu déstabilisant pour un jeune d’aujourd’hui de consulter l’écran de son ordinateur ou de son GSM sans avoir une personne en face de soi qui essaie d’établir une vraie conversation qu’on peut ainsi ouvertement ignorer. Néanmoins, que le même jeune fasse l’effort de se représenter ce que nous, les plus de trente-cinq ans, avons vécu dans notre jeunesse : des jobs d’été sans téléphone portable, sans Internet, sans ordinateur. Avec simplement d’autres stagiaires ou étudiants à qui parler, à la machine à café. Dans les années 90, si on était en stage à la Maison Blanche, on pouvait même se retrouver à aider le Président des États-Unis à passer le temps. Car si on a du mal à s’imaginer, aujourd’hui, comment on pouvait travailler avant l’avènement de l’informatique, la vraie question c’est surtout comment on faisait pour ne pas travailler auparavant. Est-ce qu’on fumait cigarette sur cigarette ? On téléphonait à des amis ? On étudiait le manuel du fax ? On prenait le temps de régler son fauteuil tous les matins ? On lisait le journal, sans doute.
Voilà, alors, s’il y a des étudiants, aux Messageries Paul Kraus ou dans une gare, qui tombent sur cet article – qui n’a pas été écrit par un stagiaire – c’est de bon cœur que je vous souhaite un beau mois d’août, au moins jusqu’à la Schueberfouer, où son cortège de saucisses et de manèges viendra brasser à nouveau toutes les populations du Grand-Duché, avant que chacun ne reprenne sa place sous les premières pluies de septembre.