Steve Kaspar

Substantifique moelle

d'Lëtzebuerger Land du 13.05.2010

Sa silhouette est connue de tous, en particulier dans le domaine de la musique expérimentale, de compositions sonores en collaboration avec le monde du théâtre d’avant-garde et celui de la danse contemporaine. Né en 1952 à Luxembourg, Steve Kaspar inaugure aujourd’hui une exposition personnelle à la Galerie Toxic baptisée Steve Kaspar... et la moelle fabrique, composée d’une sélection de 33 dessins issus du cycle Génération réalisés entre 1992 et 1996. L’exposition est orchestrée par une intervention sonore et présente la première publication sur les dessins de l’artiste, un catalogue au format ambitieux et publié par La Lettre volée typée partition musicale dessiné par Arnaud Mouriamé dont les textes sont signés Denis Gielen et René Kockelkorn, spécialistes du travail de Steve Kaspar et amis de longue date.

Artiste atypique multimédia, croisant les interactions entre sciences humaines, naturelles, métaphysique et psychisme, Steve Kaspar est avant tout un expérimentateur. Suite à des études au Nouveau Théâtre Musical de Cologne sous la direction de Mauricio Kagel, il voyage entre l’Angleterre, Bruxelles et Luxembourg. Il se consacre à l’écriture de musique électro-acoustique et électronique, réalise des œuvres vidéos, installations audio-visuelles et compositions sonores, performances et concerts et collabore avec la danseuse Yuko Kominami, avec l’ensemble de musique actuelle United Intruments of Lucilin, le trompettiste avant-gardiste Herb Robertson, les artistes Gast Bouschet et Nadine Hilbert ou encore le celliste André Mergenthaler.

Steve Kaspar est un navigateur cyclique, adepte de l’écriture automatique combinée aux formes géométriques, un travail sur les mouvements de l’intuition et de la perception pré-cognitive, influencé par Dada et le Surréalisme belge. Dans l’exposition, ses dessins de grands formats sont des « espaces de marquages », au point de vue situationniste, réalisés avec du simple papier Steinbach, des crayons, des pastels, un pinceau, toujours le même, des transferts de photocopies, des esquisses provenant de motifs de cartons de packs de bières, formant des compositions à l’allure poétique. « Le cycle génération est incandescent et liquide, blanchâtre faisant référence à un no man’s land intégré dans le système nerveux. Il s’intéresse à la moelle substantielle fabriquant des pulsations jusqu’aux neurones, un territoire marqué ».

La démarche de Steve Kaspar est un processus de cycles génératif de création « une fois que tu commences tu ne peux plus t’arrêter, c’est inévitable, c’est une aventure dans la poésie profonde et la musicalité ». Ses dessins psychiques sont connectés les uns les autres, formant un corps sans organes, dont les éléments créent un équilibre de formes, de mots, mais avec des combinaisons corrompues et la moelle continue à fabriquer des impulsions vers le système nerveux. « Chaque dessin est un fragment qui dit aussi sa totalité. Je choisis et utilise le hasard dans mon travail ». Les compositions anatomico-organiques renvoient à ce que l’auteur Denis Gielen qualifie de « théâtre de la mémoire » ou d’« oracle musical ». Contacts et rapports avec l’humain sont également essentiels pour Steve Kaspar tout comme l’ascèse de la solitude.

Son travail plastique et mental nourrit sa poésie sonore et vice-versa, les liens entre le son et l’art se nouent et se dénouent continuellement. « Je recherche la possibilité de l’existence d’une conscience organique, outre les combinaisons musicales, les ondes et le transfert, différents du monde visuel. La catharsis dans la musique te dit où tu te situes ». Les dessins en perpétuelle construction baignant dans leur temporalité propre, une évolution bergsonienne, projettent les mots Identité, volontaire, rectifier, jamais, des formes naïves de cœur, croix, circuits, tracés inachevés, silhouettes de personnages. « Je casse les enveloppes pour réformer le langage, je crée d’autres rapports, je donne libre cours à des éléments spécifiques ».

Le geste de la main est important, lié directement au système nerveux, Steve Kaspar combine souvenirs, informations et signes à la recherche du principe absolu, d’une Unité parfaite, d’une monade plastique. « Il y a un moment extatique qui tient les choses ensemble ». Tout fait rapport à tout, les distances sont calculées au millimètre près, la nature des formes spécifiquement définie pour créer un ordre en équilibre et physique régi par des tensions entre chacun des éléments génératifs. À travers la science et la thermodynamique, Steve Kaspar cherche une alliance entre les médias pour produire et matérialiser sa recherche d’un langage spécifique, obéissant aux sens et à l’intuition, échappant au cerveau et à l’emprise de la Pensée.

Steve Kaspar... et la moelle fabrique, jusqu’au 3 juillet à la Galerie Toxic, 2 rue de l’Eau, L-1449 Luxembourg ; plus d’information par téléphone 26 20 21 43 ou sur www.galerietoxic.com.
Didier Damiani
© 2024 d’Lëtzebuerger Land