Exposition Autofestival

Le juste milieu

d'Lëtzebuerger Land du 15.04.2010

Si le client de la Dexia Bil ne s’est pas encore familiarisé avec la pratique de l’endettement en un clic en téléchargeant l’application iPhone qui lui permet de calculer les mensualités du prêt de sa nouvelle voiture sur son engin multimédia domestique, il pourra, en allant au temple monétaire qui s’élève sur la route d’Esch, à Hollerich, découvrir une vingtaine d’œuvres de quatre jeunes artistes luxembourgeois. Celles-ci sont réunies par le curateur Christian Mosar dans une exposition qui est censée dresser des parallèles entre le matérialisme extravagant pratiqué par beaucoup de nos citoyens et le nouvel essor de l’art contemporain luxembourgeois.

Au cinéma, la vérité naît de la collision de deux plans qui crée un troisième sens dans l’esprit du spectateur. Dans un pays où l’art contemporain est exposé dans l’atrium monumental du siège d’une banque, il suffit de confronter le nom de la galerie (l’Indépendance), le titre de l’exposition en cours (Autofestival), et le programme dans lequel celle-ci s’inscrit (Culture pour tous) pour provoquer un sourire.

Essayons de déchiffrer le montage d’idées : l’autofestival fait allusion aux semaines de promotion de l’automobile pendant lesquelles les Luxem­bourgeois s’affairent dans les garages de marques renommées pour effectuer l’achat de leur nouveau bolide, symbole de la réalisation du rêve américain. Être mobile et indépendant, c’est être libre, mais encore faut-il l’être d’une manière stylée au Luxem­bourg, et le style ça coûte cher, surtout sur le marché de l’automobile. L’exposition Autofesti-val examine le culte de l’individualisme luxembourgeois qui est à l’origine de ce matérialisme, en affirmant qu’il est également le moteur de la production d’art au Luxembourg, un art fait avant tout par des individus séparés qui ne forment pas une école ou un mouvement. Par conséquent, l’identité luxembourgeoise émerge dans la confrontation des quatre artistes.

Sur bon nombre de photos exposées de Catherine Thiry, l’indépendance de la femme représentée est véhiculée par un processus d’individuation qui se renouvelle avec chaque photo. Dans Last Hotel, c’est l’âge avancé de la femme et la mascarade qui la recouvre qui fait d’elle un individu à part entière. Dans Sound, le flou de la peau nue d’une jeune femme entourée d’arbres la rend mystérieuse et unique. C’est pourtant la photo Bluedrop qui définit le mieux le sentiment de solitude qui accompagne l’individualisme luxuriant qui triomphe au Luxembourg. Une femme au visage non reconnaissable nage au milieu d’une mer bleue, entouré de cercles concentriques causés par ses mouvements dans l’eau. L’harmonie du bleu azur et de la ligne d’horizon contraste avec la tâche noire qui annihile le visage de la femme. Si cette femme semble se baigner dans un décor paradisiaque, elle se retrouve tout à fait seule dans son Eden exubérant. L’image est renvoyée au spectateur tel un reflet, il est amené à substituer son propre visage à la tâche noire.

Ce vide structurel se retrouve dans les peintures pixellisées de Pascal Piron qui, par un savant jeu de mise à nue du fonctionnement entrelacé de l’image vidéo, rend les sujets de ses peintures difficilement lisibles. En essayant de percer le mystère des barres horizontales décalées qui troublent la vision, le spectateur bute sur des clichés recyclés. Badende se base sur une photo prise d’un paparazzo de Kirsten Dunst lors d’une baignade, Mann mit roter Krawatte sur un photogramme de Javier Bardem dans No Country For Old Men. Dans l’autoportrait Blason de Jérémy Schneider, les anges et démons représentés sous forme de caricatures minuscules opposent Jésus, Mister Oizo et Oussama Ben Laden. L’ensemble des caricatures donne naissance aux contours d’une silhouette plus large, la tête du jeune graphiste. Son identité se construit au fur et à mesure qu’il subit celle de ses influences, la bouche grande ouverte, une expression qui fait penser à un cri existentiel muet.

Le drame du mal identitaire, lié étroitement à cet individualisme souvent maladif, est discernable dans l’installation Impuls de Max Mertens. Une dizaine de lampes de chevet s’allument dans un désordre chaotique qui est censé véhiculer de manière cryptée les idées qui ont inspiré l’artiste pour ses installations. La communication est brouillée, la transmission d’une expérience par la voie de l’œuvre d’art aussi à partir du moment où le spectateur ne comprend pas que le clignotement des lampadaires est structuré par le code Morse.

L’individualisme modeste qui fait abstraction du monde du luxe et de la masturbation intellectuelle peut être fédérateur d’idées très belles et dans ce sens, Selfportrait du même artiste est une œuvre à célébrer : l’individu, dans ses moments d’introspection et de solitude, est le seul à posséder la clé pour continuer à faire briller une ampoule, même si le courant est coupé. La lumière contenue dans cette ampoule est celle qui fait avancer l’humanité vers une société plus civilisée alors qu’elle ne semble pour l’instant éclairer le visage de l’artiste qu’à moitié.

Thierry Besseling
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