« Capturez et remixez le monde », voilà une magnifique invitation, qui résume on ne peut mieux un ambitieux défi né et développé au Luxembourg : Soundhunters (les chasseurs de son), une expérience transmedia produite par la jeune boîte de production a_Bahn. Nous vous avions parlé de ses jeunes et foisonnants créateurs il y a quelques temps (voir l’article « Le laboratoire du transmedia », d’Land du 28 mars 2014), voilà qu’ils ont pris du galon avec la diffusion de leur bébé par Arte, pionnier du genre en Europe. Déjà soutenus par le Film Fund luxembourgeois et le CNC (Centre national du cinéma) français, les producteurs d’a_Bahn ont été chassés par la chaîne culturelle franco-allemande lors des Rendez-vous de la coproduction rhénane de Strasbourg.
Soundhunters se décline en trois dimensions interactives – Watch, Rec, Create –, toutes avec un objectif commun : sampler et mixer le monde à l’infini, comme un écho permanent et sans cesse renouvelé de tous les sons possibles de la planète. Watch, ce sont quatre documentaires interactifs, hébergés par Arte depuis le 19 juin. On peut y suivre les déambulations de quatre jeunes musiciens, quatre chasseurs de sons, dans quatre villes inconnues d’eux : Lagos, Berlin, Sao Paulo et New York. Le spectateur est libre de mettre en pause la diffusion pour « zoomer » sur certains sons capturés, les décortiquer, comprendre d’où ils viennent. Ainsi, le jeune musicien électro éthiopien Mikael Seifu a travaillé sur le pigdin english, la langue véhiculaire créée par la cohabitation multiethnique du Nigéria. Au cours du documentaire, on peut par exemple cliquer sur le son « #ajegunle » et obtenir quelques lignes explicatives sur cet immense bidonville. Daedelus a, lui, travaillé à Berlin sur le kiezdeutsch, une sorte d’argot pratiqué par la jeunesse et mêlant l’allemand au turc et à l’arabe.
Là où l’expérience devient originale, c’est dans la façon dont elle fait intervenir le spectateur, qui à son tour peut devenir un chasseur de sons. Avec ce projet, tout est potentiellement musique : le crissement des pas sur des feuilles mortes, une porte de métro, les divers bruits du quotidien... Avec l’application sur téléphone mobile Rec, le spectateur capte ses propres sons. Puis, avec le logiciel en ligne Create, il compose sa propre musique à partir de ses sons captés, ou de n’importe quels autres sons chassés par des expérimentateurs du monde entier. « C’est une sorte d’Instagram du son, explique Nicolas Blies, l’un des co-fondateurs d’a_Bahn, dans lequel chaque son est associé à des informations, la ville, la météo, l’heure de captation. Tout cela forme une base de données internationale et infinie, pour mettre en musique le monde en temps réel de manière continue. » Libre ensuite au spectateur de mettre les ingrédients qu’il veut dans la machine, qui va créer un flux sonore permanent, renouvelé au gré des nouveaux sons enregistrés.
En un mois, 2 000 chasseurs de son du monde entier se sont prêtés à l’expérience, beaucoup d’Européens et de Nord-Américains, mais aussi des Néo-zélandais, des Brésiliens... Plus de 2 000 samples et 700 tracks ont été enregistrés.
Soundhunters, c’est encore un film documentaire de 52 minutes qui, entre fiction et documentaire, et prenant pour compagnon de route le duo français Kiz, trace le portrait des artistes sonores de notre époque, les replaçant dans l’histoire de la musique concrète. Réalisé par Beryl Koltz, l’auteure de Starfly et de Hot Hot Hot, cette « expédition musicale » sera diffusée par Arte le 19 septembre. Pour l’équipe d’a_Bahn, et pour la réalisatrice, c’est une opportunité sans pareille : « Le film bénéficie de la plus belle case Culture d’Arte, le samedi en deuxième partie de soirée juste après Tracks » (autre émission de chasseurs de sons et de tendances, une des signature de la chaîne, ndlr.), se réjouit Nicolas Blies.
Le tour de force d’a_Bahn est de faire entrer le Luxembourg dans la cour des grands de la production, le replaçant au cœur de l’Europe. Dans ses tiroirs également, un grand projet sur la jeunesse européenne, Génération Quoi ?, déjà en tournage et en partenariat avec quatorze diffuseurs européens. Le Luxembourg fait ainsi parler de lui autrement que par la finance. « L’idée est de ne plus être seulement dans la production mais dans la conceptualisation, de dire au monde extérieur ‘regardez ! Il y a des créatifs au Luxembourg !’. Le plus difficile aujourd’hui c’est de trouver des réalisateurs luxembourgeois qu’on fera travailler avec des producteurs du monde entier », confie Nicolas Blies. C’est la démarche inverse de la procédure habituelle, qui consiste à donner de l’argent luxembourgeois à des réalisateurs étrangers, qui bien souvent se contentent de l’injecter dans leur film sans qu’on puisse lire la « trace » luxembourgeois. Certes, si a_Bahn a choisi cette démarche, c’est aussi car elle bénéficie du confort du soutien du Film Fund. « L’originalité, c’est que le produit est né, a été conçu et produit au Luxembourg. Et c’est maintenant l’international qui vient à nous, depuis la mise en ligne de Soundhunters », s’enthousiasme encore Nicolas.
Les idées, elles, viennent bien de leurs petits bureaux de la rue d’Hollerich, d’où ils font naître des projets très divers. À venir encore : une autre grande expérience transmedia autour du tourisme, ou comment parler de la façon dont l’homme transforme son environnement par le voyage. Là encore, la jeune boîte luxembourgeoise a déjà emmené avec elle dans l’aventure des partenaires français, belges et hollandais. En attendant, la vitrine d’a_Bahn, Soundhunters, va bientôt exister en espagnol, en portugais... et en chinois, grâce à la municipalité de Taipeh qui a voulu monter un partenariat pour les rencontres annuelles de la ville. Thème de cette année : le son. Décidément, la petite musique luxembourgeoise de la production transmedia ne connait pas de frontières.