Hommes et femmes ne sont pas égaux devant le divorce

Asymétrie

d'Lëtzebuerger Land du 06.05.2010

Question à un euro : Pourquoi le ministère de l’Égalité des chances garde-t-il au secret une étude concernant la situation des femmes divorcées ? Laissant s’apitoyer sur leur sort l’association des ex-maris, qui s’estiment malmenés par leurs ex-épouses, soupçonnées de leur faire les poches. Par ce discours, leur président a même réussi à se frayer un chemin jusqu’au parlement. D’ailleurs, la ministre de l’Égalité des chances, Fran­çoise Hetto (CSV) présentera la semaine prochaine une « chouette » initiative de son ministère sur Internet, qui révolutionnera sans aucun doute la situation des femmes (www.echsimega.lu). On en veut encore !

Cependant, on ne peut pas lui reprocher d’ignorer l’existence d’une étude qui avait été commandée et ensuite mise à l’ombre par sa prédécesseure, Marie-Josée Jacobs (CSV)1. En 2004, le Ceps/Instead lui avait présenté un rapport sur la situation des personnes divorcées au Luxembourg qui montrait noir sur blanc que les séparations ont en général des répercussions catastrophiques pour les femmes. « La perte de niveau de vie suite au divorce est bien plus importante que ne le laisseraient présager les résultats descriptifs, écrivent les experts dans leur rapport. Mais cette perte est masquée par le fait que les divorcées sont plus nombreuses parmi les femmes cadres ou des professions intermédiaires, et moins nombreuses parmi celles n’exerçant aucune activité économique, ou appartenant aux catégories professionnelles les moins favorisées, dont l’activité est moins bien rémunérée. » Les femmes divorcées sont généralement moins bien insérées sur le marché du travail. Car, c’est au moment de la rupture que les conséquences de la perte d’une partie de leur réseau social se font particulièrement ressentir. « Pour les femmes, cela signifie la perte du réseau du mari, qui, eu égard à la prééminence des hommes sur le marché du travail, est probablement plus efficace dans l’accès à l’emploi, poursuit le rapport. Mais surtout, les femmes ont arrêté leur carrière professionnelle au moment du mariage ou de l’arrivée des enfants, ce qui ne leur a pas permis de faire fructifier leur capital scolaire. »

Les chercheurs ont comparé les revenus des hommes et des femmes célibataires, mariés, veufs, divorcés et séparés. Les différences sont flagrantes. Dès le départ, hommes et femmes ont un niveau de vie différent : les hommes ont 135 euros par mois de plus que les femmes, toutes catégories confondues. Cet écart se creuse et devient inversement proportionnel selon le statut matrimonial. La seule fois où le niveau de vie des femmes est supérieur (de 57 euros) à celui des hommes est lorsqu’elles sont mariées. Pour toutes les autres, c’est l’inverse : Moins 263 euros pour la femme célibataire par rapport à son alter ego masculin, moins 653 euros pour la veuve, moins 736 euros pour la femme divorcée et moins 774 euros pour l’épouse séparée.

Le résultat le plus interpellant de cette étude est l’évolution du niveau de vie après la séparation et le divorce. Lorsqu’elle passe du statut de mariée à celui de divorcée, la femme perd 380 euros par mois. Cet écart se creuse davantage pendant la période de la séparation qui dure jusqu’au prononcé du divorce avec la fixation des pensions alimentaires : il est de 607 euros inférieur à ce qu’elle avait en étant mariée. Pour les hommes, la belle vie commence dès la rupture : les hommes séparés (224 euros de plus qu’au temps du mariage) et les divorcés (plus 413 euros) bénéficient du niveau de vie le plus élevé. Peut-être était-ce parce qu’il ne fallait pas démotiver les hommes de se marier que le ministère a préféré ne pas publier ces résultats.

La question logique est celle du risque de pauvreté des femmes, car « les résultats permettent de confirmer que la baisse du niveau de vie observée en cas de divorce se traduit effectivement par plus de pauvreté chez les femmes. En effet, alors que dans l’ensemble, seulement treize pour cent de la population féminine de plus de 18 ans vit dans une situation de pauvreté, cette proportion atteint 23 pour cent chez les divorcées et même 33 pour cent chez les femmes séparées ». Et ce risque est encore plus présent lorsqu’elle a des enfants à charge. La proportion de femmes pauvres chez les divorcées avec des enfants à charge est de trente pour cent contre seize pour cent pour celles qui n’ont pas d’enfant. Les hommes, eux, bénéficient d’un accroissement de leur niveau de vie après leur divorce, car ils n’ont que rarement des enfants à charge, sont très souvent actifs et dans de nombreux cas, ils n’ont plus besoin de se montrer solidaires financièrement avec leurs épouses sans emploi. Seules les allocations familiales permettent de rattraper le coup, car « sans cet avantage familial, les différences de niveau de vie seraient encore plus importantes », souligne le rapport.

Ces mêmes données ont servi à élaborer une autre étude du Ceps sur le divorce au Luxembourg, paru en janvier 2010, où les chercheurs insistent sur le fait que cette inégalité entre hommes et femmes n’est pas directement liée à la charge supplémentaire que représente la garde des enfants sur le budget des femmes, car les aides sociales et la pension alimentaire amortissent en partie ces effets. « Par contre, avoir la garde des enfants peut freiner l’investissement des femmes sur le marché du travail et réduire leur flexibilité, écrivent-ils. Ainsi, les ménages monoparentaux se situent le plus souvent dans le bas de la hiérarchie des revenus que les ménages biparentaux. » Il faut donc augmenter la participation des femmes sur le marché du travail et réduire les écarts de salaire. Ceci aurait pour effet de limiter les discriminations à l’encontre des femmes.

Or, paradoxalement, les hommes divorcés reconnaissent plus souvent que les hommes mariés avoir du mal à régler certaines dépenses, malgré leur niveau de vie supérieur. Les chercheurs ont une réponse à ce phénomène et écrivent sèchement : « Qu’ils éprouvent des difficultés à régler leurs factures pourrait se justifier par le fait qu’ils ont du mal à maîtriser leurs dépenses, à gérer leur budget. » Une petite consolation pour les hommes mariés.

Le divorce a tendance à accentuer les différences de genre, même s’il agit en sens inverse sur la répartition traditionnelle des rôles, les femmes divorcées étant plus nombreuses à exercer une activité rémunérée que celles qui sont mariées – ce taux va du simple au double. Or, malgré ce fait, les femmes séparées vivent dans de moins bonnes conditions que les femmes mariées. C’est la raison pour laquelle les chercheurs de l’étude de 2004 ont recommandé au gouvernement d’augmenter le « soutien apporté aux femmes faisant face au divorce, et en particulier celles qui sont restées inactives pendant leur vie maritale. En outre, ce soutien doit survenir très tôt, dès l’introduction de la demande de divorce ou dès la séparation du couple, car (…) cette phase est particulièrement critique chez les femmes, en particulier chez celles avec enfants à charge qui se retrouvent soudain obligées d’assumer seules les charges d’un ménage. » Le mieux serait sans doute de les persuader à ne pas quitter le travail après le mariage et de les informer quant au piège de se retrouver dépendante à ce point d’une union qui a une chance sur deux seulement de rester solide. Près d’un divorce sur deux concerne aussi des enfants mineurs (54 pour cent en 2008).

Cependant, il n’est pas difficile d’imaginer les réactions pénibles si un soutien était apporté aux femmes séparées. C’est peut-être aussi une des raisons qui ont amené les responsables du ministère à ne pas faire trop de vagues autour de cette étude. Toujours est-il que la disparité des revenus en est autrement plus flagrante et mérite d’être connue.

Car la réforme du divorce est sur sa dernière ligne droite. La commission juridique du parlement attend les avis du Conseil d’État sur les amendements proposés. « On verra si le Conseil d’État fera des oppositions ou des propositions, explique Christine Doerner (CSV), la présidente de la commission. Le texte est certainement à améliorer, mais ce n’est pas sûr que le Conseil d’État sera d’accord avec les quatre points cruciaux de nos propositions. » (d’Land du 17 avril 2009) Le principe demeure que chaque personne est responsable pour son propre salut. Mais les pensions alimentaires – pour autant qu’elles soient accordées – seront fixées selon certains paramètres : l’âge et la formation de la personne, la situation sur le marché du travail, la durée pendant laquelle elle est restée au foyer et sa profession antérieure.

Mais jusqu’à présent, le Conseil d’État a été trop sollicité par les mesures anti-crise. Les réformes sociétales seront pour plus tard.

1 L’étude a été révélée par la journaliste Annette Duschinger dans le Journal du 30 mars 2010
anne heniqui
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