Il faut saluer l’initiative Design City du Mudam pour traiter le design dans l’espace public et de sensibiliser par là le grand public à cette thématique. En tant que designers, nous constatons depuis un certain temps qu’il existe un potentiel inexploité du design dans l’espace public. Ce sont les outils créatifs et innovants du design qui – surtout en temps de crise et de concurrence mondiale – constituent une opportunité pour améliorer l’image de nos villes à coûts modérés et de procurer à notre capitale, dans ce cas, ce petit plus par rapport à d’autres villes similaires.
Et plus particulièrement à Luxembourg, il est nécessaire de traiter notre espace public avec plus de soin. Trop souvent, celui-ci est le résultat d’un amalgame de choses et d’objets agencés sans cohérence et sans amour. Ceci est vrai surtout pour le mobilier urbain au sens le plus large, qui répond souvent exclusivement aux besoins utilitaires, sans prendre en compte le contexte dans son ensemble, comme par exemple l’esthétique, l’environnement architectural, les spécificités culturelles locales, les attentes et besoins des usagers, les aspects écologiques, la modularité, la maintenance, la durée de vie, la résistance au vandalisme, l’extensibilité, l’accessibilité, etc., tous des paramètres qui devraient faire partie du cahier des charges fonctionnel.
Il est important de ne pas limiter le débat autour du design urbain et environnemental (qui n’est pas à confondre avec l’urbanisme) à de « beaux » bacs de fleurs et bancs de parc. L’impact de l’équipement sur nos routes et places publiques est bien plus grand (éclairage public, garde-corps, arrêts de bus, cabines téléphoniques, distributeurs de journaux gratuits, signalisation routière et touristique, publicités...) et détermine par là l’image de notre ville. C’est pour cette raison qu’il faut redéfinir la fonctionnalité de notre mobilier urbain au sens le plus large du terme, en incluant les paramètres fonctionnels périphériques, afin d’analyser à la fois les aspects culturels et les aspects économiques de chaque objet dans le paysage urbain. Les bonnes solutions de design, spécifiques et adaptées, ne sont trouvées que si cette analyse est faite de façon holistique en amont de tout choix et de toute implémentation. Il ne suffit donc pas de téléporter des objets à formes et couleurs extravagantes dans notre ville et de prétendre que la réponse c’est le « design ».
Les sculptures Ondine de Michael Bihain dans le parc constituent éventuellement une exception, comme elles s’intègrent très bien dans le paysage vallonné (quand elles ne sont pas vandalisées), cependant un parc représente un contexte plutôt facile pour une intervention de design. Dans les contextes plus urbains du parcours, les installations de bancs publics fonctionnent déjà moins bien. Par contre les objets de Philippe Starck et de Ross Lovegrove (Grand-rue [&] Place des Martyrs) ne fonctionnent plus du tout parce qu’ils donnent l’impression d’une implantation hors contexte et sans finesse avec en plus des matériaux inappropriés pour une vie urbaine. Leur langage formel rappelle plutôt les années 1980 d’un cliché de design du type Alessi qu’une réponse fonctionnelle, voire même poétique et créative aux besoins de notre ville aujourd’hui.
C’est ainsi que, malgré une bonne initiative et une programmation de conférences intéressantes en marge de Design City, l’opportunité de lancer le débat sur ce qu’est vraiment le design et à quoi il peut servir n’a pas été saisie. La seule tentative du parcours Design City qui traite la problématique de l’espace public par une intervention contextuelle dans un lieu spécifique est l’installation autour du Centre Aldringen qui va de toute façon être remplacé dans quelques années par un nouveau bâtiment (et, espérons-le, par les excellentes solutions de mobilier urbain proposées par la nouvelle ligne de tram qui vont avoir un important impact positif sur la ville). Il faut aussi se demander si des ballons roses constituent le message adéquat pour attirer l’attention du public sur les potentialités d’un bon design ; rigolos à première vue, ils soulignent plutôt la tristesse de la place que de proposer une solution à long terme.
Le design ne peut se limiter à la forme, aux couleurs et à la poésie. Ces aspects, néanmoins très importants, doivent plutôt s’intégrer naturellement au design fonctionnel de l’objet – sans cette fonctionnalité (fonctionnalité primaire mais aussi les fonctionnalités périphériques), il s’agit éventuellement plutôt d’art, dans quel cas l’initiative devrait s’appeler Public Art City et non pas Design City. Contrairement à une intervention artistique, il est justement nécessaire dans le design d’établir un cahier des charges avec finesse et de ne pas nécessairement proposer une réponse personnelle du designer. Sans vouloir nier l’influence de l’art sur le design et du design sur l’art, la démarche d’un projet de design et d’un projet artistique reste quand même différente. Un objet fonctionnel existe dans l’interdépendance avec son environnement naturel dans lequel il s’insère et est une intervention parmi beaucoup d’autres qui doivent cohabiter dans le paysage urbain. Sans dire « intégré au paysage urbain », comme il s’agit souvent justement de ce contraste qui valorise l’ensemble, ce qui dépend à nouveau du fameux contexte.
Finalement, même si de nouveaux projets de design peuvent certainement améliorer le paysage urbain et l’expérience en ville, le design doit non seulement identifier le contexte actuel afin de développer de nouveaux objets mais doit aussi identifier la qualité de l’existant, le cultiver, le soigner et le célébrer. Ce qui vaut tout aussi bien pour les éléments publics que pour les éléments privés de l’environnement urbain. Trop souvent encore c’est une certaine ignorance qui « jette » les éléments de notre héritage culturel, même apparemment de moindre importance, ou qui fait qu’ils sont victime d’une rénovation hors contexte, allant des vieux (et moins vieux) portails et portes de maisons jusqu’à la ferronnerie d’art, les balustrades, vitrines de magasins etc. Il est important de conserver l’existant et l’héritage et de le combiner harmonieusement avec le nouveau. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il faut déployer du faux traditionnel ou du mobilier urbain pastiche.
Bref, il s’agit d’un débat important et il n’y a pas de formule magique. Il faut cependant se féliciter que la sensibilisation du design dans l’espace public est lancé par le Mudam avec cette édition 0 de Design City et que cet espace que nous partageons en communauté connaîtra l’évolution qu’il mérite.