15,7 pour cent sur un an pour les appartements existants du deuxième trimestre 2019 au deuxième trimestre 2020. 16,7 pour le neuf, selon les chiffres de l’Observatoire de l’habitat. La progression impressionne d’autant plus qu’elle a été ponctuée d’un gel des transactions pendant six semaines, Covid-19 et confinement obligent entre mars et mai. La crise économique, matérialisée au Grand-Duché par la perspective de la chute de sept pour cent du PIB à la fin de l’année ne ralentit pas les acquéreurs. « On dit toujours qu’on a atteint un maximum. Qu’on est dans une bulle. Que ça va exploser. Ça fait 25 ans qu’on l’attend », explique Andrea Rossi, directeur de la banque des particuliers chez ING. Mais l’immobilier conserve un intérêt indéniable et la crise ne le limite pas vraiment. Le Luxembourg est le deuxième pays européen ayant connu la plus forte croissance des prix immobiliers durant la dernière décennie. Selon Eurostat, les prix ont augmenté de 85,8 pour cent depuis 2010. Seule l’Estonie fait mieux, ou pire selon, avec un doublement des valeurs (100,5 pour cent exactement). La moyenne de la zone euro s’établit elle à 25 pour cent (les prix ont baissé en Grèce, en Italie, en Espagne et à Chypre). L’office statistique européen informe en outre que le Grand-Duché a connu la plus forte augmentation des prix de l’immobilier en Europe au deuxième trimestre, une période caractérisée par le confinement et le début de la crise économique. Les prix ont grimpé de 4,4 pour cent par rapport au trimestre précédent en plein Covid-19. La moyenne de l’UE se limite à 1,5 pour cent.
Sur le marché national, structurellement en forte tension du fait d’un manque d’offre par rapport à la demande, les investisseurs concurrencent ceux qui cherchent un logement. Et la concurrence est faussée. Des déductions fiscales, dites de l’amortissement pour usure, donnent un avantage à celui qui place son argent. Cette injustice alimente en outre la hausse de l’immobilier. L’investisseur est prêt à payer plus cher pour revenir sur son investissement a posteriori avec des déductions de revenus auxquelles celui qui habite le bien n’a pas accès. Dans une logique de Steiergerechtegkeet et de politique de logement durable, le gouvernement propose, dans son projet de budget 2021, de modifier les règles de l’amortissement. Aujourd’hui six pour cent de la valeur d’un bien de moins de six ans sont amortissables pendant six années. L’acquéreur-investisseur d’un appartement neuf acheté 800 000 euros peut déduire annuellement de ses revenus pendant six ans 38 400 euros. Cette somme correspond à six pour cent de la valeur du bien, en l’espèce la construction, exception faite du terrain, dont on estime la valeur à vingt pour cent du total. Si l’appartement avait plus de six ans, alors la déduction s’élèverait autour de 12 800 euros (pour la compréhension, on n’ajoute pas les autres dépenses déductibles comme les frais d’obtention) puisque le taux s’établit ensuite à deux pour cent.
Core vs periphery
Les services du ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) veulent ramener le taux d’amortissement à cinq pour cent durant cinq ans pour les logements neufs, dans la mesure où la somme des valeurs à la base du calcul ne dépasse pas un million d’euros. Au-delà, le taux d’amortissement accéléré est de quatre pour cent. Une nouvelle douceur fiscale est en outre introduite : un taux accéléré d’amortissement de six pour cent pour dix ans pour les dépenses effectuées dans le cadre d’une rénovation énergétique. Pour le banquier d’ING Andrea Rossi, il est « un peu tôt pour évaluer les conséquences » de ces propositions sur l’investissement immobilier. Mais l’intéressé considère que compte tenu de la nature du marché, ces mesures n’empêcheront pas de gagner de l’argent dans la pierre. « On est confiants. Les clients continuent à acheter », explique Andrea Rossi. « L’investisseur conserve son intérêt » malgré la crise, l’augmentation des prix et les futures mesures fiscales, confirme Roby Cluyssen, responsable du département « Résidentiel » chez le conseiller immobilier JLL. Même s’il s’attend à « un impact » et à perdre un petit argument de vente. Le Luxembourg reste un marché « sûr » : « Le risque de l’investisseur est très très faible aujourd’hui », commente Roby Cluyssen.
Les possibilités de rendement demeurent à court et long termes. « Rien n’a fondamentalement changé », poursuit le spécialiste qui révèle toutefois de nouvelles tendances. Les investisseurs ne sont plus concentrés que sur le core, à savoir le centre-ville. Des zones périphériques génèrent de l’intérêt, notamment Strassen, Mamer ou Capellen, pour se placer à proximité du futur tracé du tramway. Differdange, Esch ou Belval, où les tickets d’entrée sont moins élevés, bénéficient aussi d’un gain d’intérêt. Les investisseurs ne privilégient plus forcément le neuf, constate aussi Roby Cluyssen. Est-ce dû aux primes dites clever du plan Nei Start qui apportent des aides à ceux qui veulent améliorer la performance énergétique de leur(s) bien(s) ? Ou bien est-ce la perspective du nouvel amortissement accéléré écologique ? Dur à dire pour le directeur de JLL.
Mais le must, c’est la colocation, explique Roby Cluyssen. Ce mode de logement permet à l’investisseur des rendements plus élevés. « On achète une maison unifamiliale avec des espaces communs ou un appartement deux-trois chambres. Et on essaie de trouver des gens qui travaillent dans la même société, » détaille-t-il. Un appartement de trois chambres rapporte davantage lorsqu’il est saucissonné en trois locataires que loué à une seule famille. Trois loyers rapportent dans cet exemple théorique 2 100 euros. Un seul 1 800. Via la colocation, la rentabilité croît avec le nombre de mètres carrés. C’est le chemin inverse pour une location classique. Ce type de logement intéresse particulièrement les jeunes auditeurs des Big Four et l’entrepreneuse Carole Caspari en a fait son modèle d’affaires avec Altea et sa plateforme furnished.lu (Land, 24.05.2019), qui compte un portefeuille de 800 chambres meublées. Reporter.lu explique d’ailleurs ce mois-ci que la qualification fiscale de ses revenus fait l’objet d’un débat devant les juridictions administratives. Carole Caspari considère qu’il s’agit de la gestion de son patrimoine privé, le fisc d’une activité commerciale, écrit le média en ligne.
Chassé-croisé
Qui sont les investisseurs de l’immobilier résidentiel au Luxembourg ? Roby Cluyssen évoque une grande variété de profils, un mélange de locaux et d’étrangers. Ces derniers expriment un désir d’investir dans des capitales, mais ils sont limités dans leur choix car des villes comme Bruxelles ou Amsterdam plafonnent en termes de rendement. Les investisseurs particuliers belges s’intéressent au Grand-Duché pour son potentiel. Des family offices se positionnent pour leurs clients. « Ils achètent des immeubles entiers avec un budget de 25 à trente millions d’euros », informe le directeur de JLL. Eaglestone a vendu deux programmes neufs à Hollerich et Bonnevoie à deux familles belges pour vingt millions d’euros l’unité. « Demain si on a un immeuble avec des chambres on trouvera un investisseur, c’est sûr et certain », assure Roby Cluyssen, y compris en dehors de la capitale, conformément à la volonté gouvernementale de désengorger le centre et de multiplier les pôles d’attractivité.
Pour plusieurs raisons aussi, l’investissement immobilier s’opère depuis le Grand-Duché au dehors des frontières. À la Bil, le responsable de la banque privée pour les clients résidents, Raoul Stefanetti, défend d’abord l’intérêt de la diversification géographique des actifs. Un client disposant d’un patrimoine de trois millions d’euros trouvera via un investissement de quelque 125 000 euros (apport minimum) dans un Raif (Reserved alternative Investment fund), la possibilité de mitiger son risque marché, en termes de région, mais aussi de classe d’actif (résidentiel ou bureau). Alors que la part d’investissement dans la pierre ne doit peser que pour dix ou vingt pour cent des actifs selon une croyance partagée chez les gérants de fonds, les portefeuilles des investisseurs locaux sont souvent surexposés à l’immobilier local (du fait d’une accumulation incrémentale de patrimoine et d’un renchérissement naturel et continu du foncier). Raoul Stefanetti indique en outre que la crise apporte son lot de « bonnes affaires » dans les principales capitales européennes, comme Londres ou Paris, avec des sociétés « distressed » qui cherchent à se débarrasser promptement d’immobilier à fort potentiel, en termes de rendement locatif et de plus-value à terme.
Bien sûr, l’investissement en actions doit compléter le portefeuille d’investissement, rappellent en chœur les conseillers financiers. Chez BCEE Asset Management, le directeur Carlo Stronck souligne que les banques centrales soutiennent les marchés coûte que coûte. « Il faut constinuer à investir », assure-t-il. Le gérant de fonds croit dur comme fer qu’un placement bien diversifié sur le marché actions à quatre ou cinq ans fructifiera davantage qu’un compte épargne.