Personne ne connaissait Lucien Welter de Munsbach jusqu’au 12 septembre dernier. Personne à part sa famille, ses proches, ses collègues de travail et les connaissances de ses enfants. Mais le 12 septembre, la pétition publique n°698 qu’il avait déposée le 22 août à la Chambre des députés a été ouverte à la signature – et c’était Armageddon sur les serveurs du Parlement. Mille, 2 000, 3 000 signataires en quelques jours, 10 000 en début de cette semaine, presque 13 000 ce jeudi. Pas de doute, Lucien Welter, jusque-là loup solitaire de la cause du luxembourgeois, récolte l’adhésion de beaucoup de Luxembourgeois avec sa proposition d’élever la langue nationale au statut de langue officielle. Qui devrait alors prioritairement être utilisée pour toutes les communications officielles, que ce soit du gouvernement, du parlement, de la justice ou de l’administration. Dans la loi de 1984 sur le régime linguistique, le luxembourgeois est désigné langue nationale, ainsi que, avec l’allemand et le français, langue administrative et judiciaire.
Depuis une semaine, les réseaux sociaux et les sections réservées aux commentaires des médias explosent de commentaires haineux, racistes et dédaigneux, les uns à l’encontre des Luxembourgeois, les autres à l’adresse des immigrés, frontaliers et autres non-luxembourgophones, les uns méprisant les classes populaires qui demandent une valorisation de la langue nationale et les autres stigmatisant les intellectuels jugés hautains qui se sentiraient au-dessus des simples quidams grand-ducaux. En gros, on revit le même débat que lors de la réforme de l’accès à la nationalité ou lors du référendum du 7 juin 2015. La scission du pays en 80 pour cent d’électeurs rétifs au changement et à l’ouverture du pays et 20 pour cent « d’élite » progressiste semble encore se creuser. La stratégie du gouvernement Bettel/Schneider/Braz de faire comme si rien ne s’était passé en 2015 et de ne tirer aucune conséquence des débats identitaires provoqués par la question sur l’accès au droit de vote des étrangers s’avère tragique : le débat gangrène peu à peu et le pus pue.
Or, on a beau invoquer que le luxembourgeois est plus populaire que jamais, que beaucoup de gens le parlent, l’apprennent, ne serait-ce que pour avoir plus facilement accès au marché de l’emploi ; que l’école relie des populations extrêmement hétérogènes grâce au luxembourgeois ; que plus de gens l’écrivent que jamais grâce aux SMS et aux réseaux sociaux ; que des artistes comme Serge Tonnar, De Läb ou Tommek en font un usage moderne ; que l’Université du Luxembourg lui consacre des recherches sérieuses. Aucun de ces arguments ne calmera ceux qui défendent la langue nationale comme élément identitaire – Lucien Welter, qui se réclame sans obédience politique jusqu’ici, est applaudi par l’initiative Wee2050–Nee2015 de Fred Keup, par l’Actioun Lëtzebuergesch / Eis Sprooch de Lex Roth et, bien sûr, par l’ADR. Il ne sert à rien d’argumenter rationnellement parce qu’il s’agit davantage d’une question sociale que linguistique. Car beaucoup de ceux qui se plaignent de devoir demander leur croissant en français ou de ne pas s’y retrouver dans les formulaires administratifs en français se sentent laissés-pour-compte dans une société qui se développe rapidement. Ce n’est pas un hasard que le pétitionnaire fasse référence au scénario d’un État à 1,2 million d’habitants. Et le fait que son usage de la langue qu’il prétend défendre soit plus qu’hasardeux (orthographe, grammaire) semble confirmer cette interprétation.
Or, défendre le luxembourgeois aujourd’hui semble être le mauvais débat. Il faudrait plutôt aussi défendre le trilinguisme dans un pays où la main d’œuvre hautement spécialisée, que ce soit en finances ou en nouvelles technologies, est de toute façon majoritairement anglophone et où les parents des quartiers huppés inscrivent leurs enfants dès l’école primaire à l’International School afin de leur garantir les meilleures chances de réussite. La nouvelle brèche qui traverse la société se situe là : du côté de la cohabitation de plusieurs populations très différentes sur un même marché du travail, dans une même société. Le débat risque de décider les élections législatives de 2018.Pourvu qu’elles seront remportées par le ou les partis qui proposeront de colmater ces brèches plutôt que par celui ou ceux qui danseront sur le volcan.