L’ambiance fut électrique, le week-end dernier au Grand Théâtre, pour la création mondiale de la nouvelle mise en scène de Bob Wilson, le Jungle Book d’après Rudyard Kipling (1894). Il y avait les enfants, venus en nombre avec leurs parents, qui connaissaient forcément la version de Disney. Et les adultes, trop excités à l’idée qu’une star mondiale crée une œuvre devant leur porte. Dans la fosse d’orchestre : un pianiste mult-instrumentiste, un rappeur s’avérant excellente human beat-box, une violoncelliste et un guitariste. Dès l’entrée, c’est sûr : ce Jungle Book ne sera pas un musical mielleux aux nombreux effets de style. Mais une réduction à l’extrême, misant sur le minimalisme et le symbolique, aussi bien dans la narration que dans la forme.
Voilà l’éléphante qui nous narre l’histoire en chemisette romantique, avec juste de grandes oreilles accollées à la tête ; la panthère noire Bagheera lascive, l’ourson Baloo dodu, aimable et paresseux, le tigre Shere Khan ayant des airs de boss de mafia. Le Mowgli candide de Yuming Hey traverse la jungle sans se soucier des dangers qui l’attendent et, à l’adolescence, découvrira que le monde des humains est bien plus cruel que celui des animaux. Comme toujours chez Wilson, les tableaux se créent avec les lumières et juste quelques éléments de décor, extrêmement réduits : des pylônes électriques pour indiquer la ville, de la verdure pour la jungle, un panier de basket, un arbre dans un caddie ou des papillons fixés sur des baguettes pour signifier l’environnement dans lequel on se trouve. Lorsque le conseil des animaux se réunit, il le fait sur un dépôt d’anciens téléviseurs, scories de la civilisation, et lorsque
Mowgli retrouve ses parents humains, ils ne sont qu’aigreur et austérité.
C’est finalement la musique du duo folk Cocorosie (Bianca et Sierra Casady) qui crée la magie de ce Jungle Book. Leurs ballades décalées et lyriques, mêlant chants et instruments rock, entraînent aussi les adultes dans l’univers de ce voyage initiatique. Elles se sont inspirées du Pierre et le loup de Prokofiev (1936) pour attribuer une tonalité sonore à chacun des animaux sur scène, achevant à en faire un voyage poétique à travers un univers en papier découpé. Une heure quinze d’émerveillement, sans plus. josée hansen