Peut-être que c’est le lieu qui l’inspire – tout, au Casino syndical à Bonnevoie transpire la gloire des luttes passées –, ou peut-être que Frank Gilbertz a simplement pris conscience de l’importance de s’organiser syndicalement au cours de ses quelques années en tant que fonctionnaire auprès des CFL ? « Nous devons réussir à sensibiliser davantage de jeunes pour le travail syndical, dit-il. Nous allons lancer des campagnes d’information afin de communiquer un maximum aux jeunes – qui parlent sans cesse de ces choses-là entre eux – et de les mobiliser pour éviter que des mesures comme celles qu’envi-sage le gouvernement ne passent. »
Le gouvernement entend, dans le cadre de sa réforme des salaires dans la fonction publique, abaisser les niveaux des rémunérations d’entrée. Dans sa Déclaration sur l’état de la nation, début avril, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) a reformulé les propositions initiales en expliquant qu’il s’agirait d’une part d’une baisse de l’indemnité de stage de vingt pour cent, et que de l’autre, ce stage serait allongé de deux à trois ans. « S’il s’agit vraiment d’aligner les salaires du secteur public sur ceux du secteur privé, comme le demandent certains patrons du privé, estime Frank Gilbertz, alors il aurait mieux valu que les salaires du privé soient revus à la hausse... ! » Depuis novembre 2009, la FNCCTFEL, le syndicat qui regroupe cheminots, employés du transports et fonctionnaires, a réorganisé sa section jeunes (jusqu’à 35 ans), qui compte aujourd’hui quelque 850 membres, toutes carrières confondues. Frank Gilbertz, 27 ans, dans la carrière supérieure du rédacteur aux CFL depuis trois ans et demi, est leur président. « Lorsque j’ai été embauché, après le lycée, nos salaires étaient sûrs et corrects, on ne parlait pas de risques de remise en cause ».
Pour lui, c’est une erreur de s’attaquer aux salaires des jeunes justement, ceux qui sont de toute façon les plus bas, alors que l’entrée dans la vie professionnelle est celle qui demande le plus d’investissement de la part du jeune, notamment pour trouver à se loger indépendamment des parents. « Regardez les prix de l’immobilier au Luxembourg : tout est excessivement cher, il est difficile de trouver un appartement ou une maison à louer, et encore davantage à acheter. »
Justin Turpel, président de la section fonction publique de la FNCCTFEL, acquiesce : « En réduisant l’indemnité de stage à 80 pour cent du premier salaire et en prolongeant sa durée d’une année, l’État non seulement rend leur départ dans la vie active plus difficile – par exemple, ce sera plus difficile de contracter un prêt hypothécaire et ceux qui en ont déjà un avant de rejoindre la fonction publique auront du mal à le rembourser tous les mois –, mais en plus, il les précarise d’une manière que jamais aucun patron privé ne pourrait se permettre. » Si, selon le droit du travail, la période d’essai d’un contrat à durée illimitée ne peu dépasser six mois, une période probatoire de trois ans équivaudrait, selon Justin Turpel, à une période d’essai de cette durée, car le statut permettrait de licencier le stagiaire à tout moment, sans avoir à invoquer de motif grave.
Pour le gouvernement, plusieurs arguments jouent en faveur d’une baisse des salaires à l’entrée, dont en premier une réduction des disparités de salaires entre les secteurs public et privé – l’étude sur les traitements réalisée pour le compte du gouvernement parle d’une différence de 15 à 20 pour cent entre les salaires de l’État et ceux du privé dans les métiers de l’industrie, de la construction et des services aux entreprises (source : Fedil), voire même de 30 à 40 pour cent entre l’État et le secteur bancaire (selon les contrats collectifs). Un deuxième argument, en faveur de la prolongation du stage, serait celui d’une amélioration de la formation. Et le troisième, l’ambition d’augmenter la fourchette entre les salaires de début et de fin de carrière1, du haut et du bas de l’échelle des grades de carrière. Mais, et dans cette appréciation, tous les syndicats se rejoignent, cela pourrait aussi simplement et banalement être une mesure pour faire des économies, afin de financer d’autres reclassements de carrières, nécessaires pour abolir des injustices existantes ou prendre en compte les diplômes selon Bologne. Le mot d’ordre du gouvernement est que toute la réforme doit pouvoir se faire avec la même enveloppe budgétaire qu’au départ du processus ; or, cet argent, il faut bien le trouver quelque part.
Justin Turpel craint encore que les principales dégradations des rémunérations se fassent de manière plus insidieuse, moins visible que ce qui a filtré jusqu’à présent des discussions bilatérales État-CGFP, notamment en classant les jeunes fonctionnaires à un échelon plus bas à l’entrée de carrière ou en espaçant les avancements automatiques dans le temps. Les projections de la commission des traitements calculent des économies de plusieurs millions d’euros par an à l’horizon 2019 en supprimant la première biennale après un an de service (moins 8,3 millions d’euros) ou en abaissant les rémunérations de début au deuxième échelon du grade de début de carrière (16,4 millions). Tout cela doit être matière à discussion, affirmait la CGFP après son entrevue avec les ministres de la Fonction publique, François Biltgen et Octavie Modert (tous les deux CSV), jeudi dernier. Les avants-projets de textes sont retirés, une prochaine réunion entre parties pour une reprise des négociations interrompues en décembre est fixée à début mai.