Pas trop inspirés les juristes de la Chambre de commerce, lorsqu’ils demandent au gouvernement, non sans une certaine impudeur, de ne pas seulement sanctionner les employeurs des travailleurs illégaux, mais de prévoir aussi de réprimer les travailleurs eux-mêmes, histoire de ne pas faire toujours porter le chapeau aux seuls patrons.
Il y a dans les assertions patronales le signe d’un changement de paradigme : hier encore, la philosophie prônant le minimum syndical en matière de réglementation prenait le dessus lorsqu’il s’agissait de transposer des directives européennes. Sous le cri de ralliement, « la directive, rien que la directive », les représentants du patronat influençaient souvent l’écriture des lois afin qu’elles n’aillent pas au-delà des exigences communautaires, au nom du principe d’autorégulation qui avait fait prétendument ses preuves.
La Chambre de commerce revient à l’assaut avec son credo d’une transposition minimaliste pour que le gouvernement revienne sur la sévérité d’un projet de loi sanctionnant les « patrons négriers », qui sévissent notamment dans le secteur de la construction en employant à bon compte des clandestins. Une directive du 18 juin 2009 (2009/52/CE), que le Luxembourg aurait déjà dû faire entrer dans sa législation nationale en juillet 2011, impose des changements législatifs.
Il n’est ici nullement question pour la Chambre de commerce de mettre en doute le bien fondé de la lutte contre le travail clandestin, vu comme un mal autant économique que social. Il y a tout de même quelque chose de paradoxal dans l’avis que l’organisation vient de rendre : réclamer d’un côté aux autorités la transposition de la directive, rien que la directive sur le travail illégal, jugeant que le projet de loi renforçant les sanctions pénales et administratives contre les entreprises et sorti le 1er mars dernier des ateliers du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration sortait de ce cadre, mais dans le même temps demander la mise en place d’un arsenal de sanctions à l’égard des travailleurs illégaux, ce que la directive ne prévoit évidemment pas.
« Le projet de loi, déplorent les rédacteurs de l’avis, détermine des sanctions à l’intention exclusive des employeurs : aucune sanction pénale n’est prévue à l’égard des travailleurs illégaux ». L’hypothèse douteuse soutenue par l’organisation patronale est qu’il faut « également responsabiliser les ressortissants de pays tiers concernés afin que ceux-ci soient davantage dissuadés de venir au Luxembourg dans l’unique but d’y travailler illégalement ».
Affirmer ce genre d’inepties, c’est prendre le problème à l’envers et faire fi des filières clandestines de traite d’êtres humains nées des besoins d’employeurs peu scrupuleux d’une main d’œuvre malléable à merci pour gagner des parts de marchés et des marchés publics, sans se soucier de la probité de ses fournisseurs et de ses sous-traitants et encore moins du respect des normes sociales. Le constat n’a rien de caricatural et le fléau du travail clandestin ne relève pas de la théorie au grand-duché, même si les contrôles effectués par l’Inspection du travail et des mines (ITM) ne rendent pas toujours compte de la réalité du terrain ni de l’étendue du phénomène.
En introduisant des sanctions (pénales et administratives – exclusion des marchés publics, remboursement des aides, etc) dissuasives contre les employeurs directs ou indirects (c’est la grande nouveauté du pro[-]jet de loi) et en responsabilisant désormais les donneurs d’ordre pour qu’ils n’aient pas à se retrancher derrière des sous-traitants malveillants en leur jetant la pierre en cas de pépin. Et que ces derniers parviennent à obtenir la clémence des autorités (« Ils ne sont pas trop inquiétés », admet une source proche de l’ITM) , la lutte contre le travail illégal marquera une avan-cée significative au Luxembourg. À l’heure actuelle, la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration prévoit uniquement des sanctions à l’égard de l’employeur direct. En englobant les employeurs indirects et les donneurs d’ordre, il sera difficile de passer en dehors des mailles du filet.
La directive impose aux employeurs qu’ils vérifient que les ressortissants des pays tiers disposent d’un titre de séjour valable avant de les embaucher et qu’ils tiennent pendant la durée de l’emploi une copie du titre de séjour, à présenter en cas de contrôle. Ils devront par ailleurs notifier au ministère en charge de l’immigration dans un délai de trois ou sept jours ouvrables le début de la période d’emploi.
La violation de ces règles, outre des amendes administratives déjà d’usage, obligera les employeurs au paiement des arriérés de salaires (trois mois) et la prise en charge des frais de rapatriement des illégaux, alors qu’à l’heure actuelle les charters les ramenant chez eux sont payés par l’État, voire les illégaux eux-mêmes.
La mauvaise foi de l’organisation patronale dans l’affaire va jusqu’à parler de dérapage budgétaire lié au renforcement des effectifs de l’ITM : cinq inspecteurs devraient être embauchés en 2012 pour muscler la lutte contre le travail illégal et la protection des salariés, pour un budget d’environ 200 000 euros, si tant est que le texte passe le cap de la Chambre des députés encore cette année. Est-ce si cher payé la lutte contre la traite des êtres humains ?