Produits blancs

L’appel de l’Apple

d'Lëtzebuerger Land vom 28.04.2011

Traditionnellement, le Luxem­bourg est un grand consommateur d’ordinateurs et de téléphones portables. Ainsi, en 2008, pour cent habitants, le Statec dénombrait déjà 147 abonnements à des services de téléphonie mobile. Ensuite, connaissant l’attrait de la population pour les produits hauts de gamme, le succès des appareils Apple n’a rien d’étonnant. En effet, juste après la Suisse, mais devant les États-Unis, c’est le Luxembourg qui compte la plus grande proportion d’accès à Internet par des systèmes Apple : Plus de quinze pour cent des surfeurs, au grand-duché, utilisent des iPhone, des iPad ou des Mac pour se promener sur Internet. Dans les autres pays, la moyenne tourne plutôt autour de dix pour-cent.

Pour arriver à ce constat, le site Pingdom.com a utilisé les statistiques des visites de trois millions de sites Internet pour mesurer, pays par pays, la part de chaque système d’exploitation. Une fois le calcul effectué, reste à se demander pourquoi c’est dans nos deux petits pays qu’on préfère les produits de Steve Jobs ?

• Quand tout le monde possède un iPhone, on ne risque pas de se faire piquer le sien. La légende urbaine veut que, dans les capitales des autres pays du monde, les statistiques des agressions dans le métro augmentent significativement à chaque sortie d’un nouveau modèle de la gamme.

• Surfer sur un Mac Pro au lieu de le faire sur un PC moitié moins cher, c’est comme rouler à 120 kilomètres à l’heure au volant d’une BMW M3 plutôt qu’en Fiat. Même si on n’est pas graphiste, on a la satisfaction d’utiliser une machine qui pourrait nous permettre de le devenir. Si tous les utilisateurs de Réflex numériques étaient des photographes professionnels, ça se saurait...

• Il y a un nouveau modèle tous les ans. Ce n’est pas tout d’avoir les moyens, il faut aussi être à la page. Comme les iPhones sont vendus avec un abonnement qui dure deux ans, vous n’avez plus qu’à refiler le téléphone de la génération précédente à votre enfant de trois ans, qui jouera à faire des coloriages avec ses doigts. Et à fausser les statistiques.

La réponse est peut-être encore moins flatteuse, si on réfléchit au mode de calcul. En effet, c’est le nombre de sites visités qui a été comptabilisé. Ce n’est donc pas forcément qu’il y a beaucoup d’iPhones ou d’iPads au grand-duché (d’ailleurs, pas forcément détenus par des locaux) mais c’est qu’on passe beaucoup de temps avec. Autrement dit, qu’on a du temps à perdre.

On a longtemps cru que la motivation de l’achat de ce genre de produits était de « rendre jaloux les voisins ». C’est sans doute vrai quand seulement dix pour cent de la population peut se permettre d’acquérir un tel objet. Mais, aujourd’hui, il n’y a qu’à faire un tour dans une banlieue française (ou dans la file d’attente du Kinepolis de Thionville pour les moins téméraires) : les iPhones sont aussi démocratisés que les polos Lacoste.

Non, la véritable raison pour laquelle les gens veulent un iPhone, l’achètent et l’utilisent, c’est qu’ils n’ont rien d’autre à faire de leur soirées, de leurs déplacements en bus ou de leur pause déjeuner que de passer une part de plus en plus considérable de leur temps libre à aller consulter des réseaux sociaux, deviner les titres des morceaux qui passent à la radio ou jouer à Angry Birds.

Le véritable essor du livre n’a pas eu lieu avec l’invention de l’imprimerie par Gutemberg, il y a 500 ans, mais avec l’invention du chemin de fer au XIXe siècle. Les voyageurs avaient plusieurs heures à tuer dans un wagon. Des libraires se sont installés dans les gares. Et les ventes de livres ont décollé.

Aujourd’hui, vingt ans après la création d’Internet, les gens s’ennuient au travail et en profitent pour surfer sur Internet afin de choisir leurs prochaines vacances. Ils s’embêtent chez eux et se connectent à leur boîte mail professionnelle pour vérifier leur courrier en retard. Et s’il est déjà plus facile de savoir ce que ses anciens camarades de lycée ont fait le week-end dernier que de demander à ses enfants comment s’est passée leur journée d’école, il va bientôt même être possible de découvrir de parfaits inconnus, qui ont juste comme point commun de se trouver dans un lieu donné au même moment. L’idée semble tellement séduisante que ses concepteurs viennent de lever 41 millions d’euros pour la faire vivre. Cette application s’appelle Color. Et, à l’échelle d’un pays, ça s’appelle... Luxembourg.

Cyril Boyer
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