Ils se réunissent tous les jours au pied du drapeau étoilé de l’Union européenne planté à l’entrée de la préfecture de Ploiesti, ville pétrolière située au centre de la Roumanie. Leur demande n’est pas ordinaire : une trentaine de chercheurs de l’Institut de recherche pétrolières demandent à l’État roumain de les euthanasier. La raison de leur désespoir : ils n’ont pas reçu eurs salaires depuis le mois d’octobre 2010. « Nous faisons partie de la communauté européenne, affirme le technicien Radu Panait. Nous sommes au bout du rouleau, au point que nous demandons nous-mêmes à être euthanasiés. De toute façon l’État nous tue à petit feu, autant le faire d’un seul coup. Ce serait plus facile pour nous. »
Jadis fleuron de la recherche dans le domaine pétrolier, riche de quelques 2 000 employés, l’institut de Ploiesti ne compte plus aujourd’hui qu’une cinquantaine de chercheurs. La chute du régime communiste en 1989 et la transition chaotique de la Roumanie a peu à peu diminué son personnel. Le coup de grâce a été donné en 2010, lorsque le gouvernement a décidé de licencier 200 000 fonctionnaires. La crise économique et financière qui secoue l’Europe depuis 2008 a eu un énorme impact sur les économies fragiles de l’Europe de l’Est. Pour y faire face, la plupart des pays de l’ancien bloc communiste ont été contraints d’appliquer une politique d’austérité, dont les coûts sociaux sont énormes.
Comme les autres pays d’Europe de l’Est, la Roumanie a pu se maintenir sur les rails grâce à des prêts de 25 milliards d’euros auprès du Fond monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Union européenne (UE). En échange, Bucarest s’est engagé à réduire drastiquement les dépenses publiques. En plus des 200 000 fonctionnaires licenciés, le gouvernement roumain a dû augmenter la TVA de 19 à 24 pour cent, ce qui a pénalisé la consommation. Le cri de désespoir des chercheurs de Ploiesti est un signal d’alarme dans un pays où le salaire moyen est de 350 euros. « Notre demande d’euthanasie a été adressée aux plus hautes autorités de l’État, déclare Ileana Hategan, la chef du syndicat des chercheurs de Ploiesti. Certains pourraient penser que c’est une plaisanterie, mais c’est sérieux. D’ailleurs la préfecture a été obligée d’enregistrer notre demande officiellement et nous attendons une réponse. »
L’impact social de la politique d’austérité a été aussi fort en Bulgarie. La longue série de manifestations entamées l’hiver dernier a conduit, le 20 février, à la chute du gouvernement de centre-droit. Si les Roumains demandent à être euthanasiés, les Bulgares ont choisi, eux aussi, une mesure extrême : l’immolation par le feu. Depuis le début des manifestations, sept personnes y ont eu recours et trois sont décédées. Plus qu’une succession de drames individuels, ces gestes sont le reflet d’une situation économique où la mort devient le seul avenir envisageable. Le 13 mars, inquiet de cette situation, le primat de l’Église orthodoxe bulgare, le patriarche Neofit, a appelé les Bulgares à ne pas devenir des victimes du manque d’espoir.
Pourtant, la politique d’austérité a été considérée comme un panacée aux problèmes du pays, au point que le Premier ministre Boïko Borissov s’est autocongratulé à ce sujet. « Quatre années de suite, nous avons appliqué une politique de rigueur financière, a-t-il déclaré fin janvier lors d’un déjeuner d’affaires avec les ambassadeurs de l’UE en Bulgarie. Ceci nous a permis d’avoir des petits déficits budgétaires et de conserver à un bas niveau la dette extérieure en respectant les critères de Maastricht. Il n’y a que quelques autres pays dans l’UE qui peuvent se flatter de tels résultats. » En 2012, le déficit public représente seulement 1,4 pour cent du produit intérieur brut, mais les finances du pays sont à sec. Tôt ou tard, Sofia devra emprunter auprès des bailleurs de fonds internationaux.
La Hongrie, voisine occidentale de la Roumanie, n’est pas non plus épargnée par les effets de l’austérité. Dans le nord-ouest du pays, la région la plus pauvre du pays, les gens ne mangent plus à leur faim. Les enfants sont les principales victimes. « En Hongrie, la proportion des enfants atteints de malnutrition est énorme : 14,1 pour cent », a estimé l’Institut national de la santé des enfants dans son rapport rendu public fin 2012. Dans le nord-est du pays, le chômage atteint 32 pour cent de la population – contre onze pour cent pour la moyenne nationale – et jusqu’à 80 pour cent dans certains villages. Cette précarité a poussé les Hongrois à manifester et plusieurs « marches contre la faim » ont été organisées dans tout le pays. Les coupes sévères dans les budgets sociaux et une loi punissant les sans-logis frappent les plus pauvres. La récession s’est installée dans le pays qui affichait en 2012 un recul du PIB de 1,7 pour cent et une dette publique qui représente plus de 80 pour cent du PIB. « Si on est pauvre, on n’a plus le droit de vivre en Hongrie, lance Imre Toth, un des fondateurs des « marches de la faim ». L’État fait comme si tout allait bien. »
Seul pays de l’ancien bloc communiste qui a réussi à tirer son épingle du jeu, la Pologne n’a pas connu de récession depuis 2008. Avec une croissance cumulée de 15,5 pour cent entre 2008 et 2011, ce pays fait exception dans une zone très perturbée par la crise. Ses bons résultats ont été récompensés par le FMI qui, le 21 janvier, a accordé à Varsovie un nouveau crédit de précaution d’un montant de 33,8 milliards d’euros. L’objectif : aider le pays à faire face au ralentissement de son économie, tout en préservant la confiance des investisseurs. La Pologne bénéficie d’un atout de taille pour rester compétitive : sa monnaie, le zloty, qui permet au gouvernement d’agir sur le marché des devises en le laissant flotter au gré de ses besoins. Mais l’exception polonaise est loin de compenser les ravages de l’austérité dans les autres pays d’Europe centrale et orientale, où marches de la faim, immolations par le feu et euthanasie sont à l’ordre du jour.