Près des falaises sauvages et aiguisées des côtes de Jersey, quelques endroits déserts recouverts de fleurs et de photos disent les drames : le long d’une route ou près de la plage, de très jeunes filles se sont fait sauvagement assassinées. Dans les villages de ce petit paradis insulaire, les maisons sont joliment alignées, les langues liées et les secrets bien gardés. On y porte des robes et des polos pastels et la chorale de la paroisse, dirigée par Hilary (Geraldine James), la mère de Moll (Jessie Buckley) et dans laquelle chante la jeune femme, connaît son petit succès. Elle a quitté l’adolescence depuis quelques années déjà et pourtant Hilary, froide et autoritaire, semble lui dicter son comportement. Moll fuit la fête inepte organisée pour son anniversaire, se saoule gaiement et manque de se faire violer par un blondinet local. Sauvée par Pascal (Johnny Flynn), un artisan aux mains sales et sans manières, Moll se rebelle enfin contre son entourage. Mais la même nuit, un nouvel enlèvement a eu lieu et la vindicte populaire soupçonne vite ce garçon qui ne sait pas se tenir. Moll a choisi son camp.
Conte malaisant, Beast est le premier long-métrage du britannique Michael Pearce, révélé au dernier festival de Toronto. Originaire de Jersey et inspiré par des faits divers antérieurs à sa naissance, mais qui ont imprégné son enfance, le réalisateur s’empare des travers insulaires pour en révéler la complexité : la démarche n’est pas sans rappeler celle de Govinda Van Maele pour Gutland, où l’apparente bienveillance des villageois cache une tradition du secret et des apparences. Ici, on pense aussi bien sûr aux bourgeois de Claude Chabrol, leurs codes, leurs sourires, avant que tout ne vole en éclats. C’est cette jeune femme rousse qu’il va suivre, la plaçant en héroïne d’un mélo familial suranné en l’affranchissant, d’abord le temps d’une nuit, de ce carcan social et familial oppressant.
Vient ensuite le conte de fées, où la belle tombe sous le charme de la bête, sauveur mais rebelle, extérieur à la cour. Seule contre tous, Moll soutient son homme, se livre peu à peu. Elle-même a cédé à la violence, il y a longtemps, pour se défendre. Alors qu’elle quitte le foyer familial et s’installe chez Pascal, l’étau se resserre, la mise en scène et la caméra épousent le style du thriller. Moll est isolée, rejetée par la communauté et par le décor, une violence qui s’étaye encore lorsque le corps de la jeune disparue est retrouvé. Brouillant les pistes, Pearce simule l’enquête pour mieux tourner autour de ce couple si fusionnel, où la peur change de camps subtilement.
Oubliée alors, la symétrie des plans, la caméra est désormais nerveuse, assombrit les gros plans si lumineux du début. Il est question ici de sonder l’âme humaine dans tous ses débordements et de pousser les deux personnages dans leurs retranchements, jusqu’à la dernière minute. Pearce parvient à installer cette tension en partie grâce à l’actrice Jessie Buckley, étonnante en victime prête à s’affranchir. À ses côtés, Johnny Flynn, le visage marqué de cicatrices, appelle le mystère, alors que sa blondeur relève de l’angélisme. Dommage, alors que la mise en scène et l’interprétation sont remarquables de subtilité, de réhausser le ton par une musique trop présente et trop dramatique, comme si Michael Pearce ne se faisait pas assez confiance.