En organisant ce 22 mars un colloque sur « Le banquier luxembourgeois et l’assurance-vie », l’Association luxembourgeoise des juristes de banque (ALJB) a non seulement livré à un public venu nombreux de précieux enseignements techniques sur la coopération développée entre assureurs et banquiers de la place ; elle a également dégagé des perspectives favorables à la poursuite de cette improbable romance qui prospère depuis des années sans manifester de signe d’essoufflement.
Le rapprochement entre banque et assurance est un phénomène apparu dans la dernière décennie du 20e siècle, en même temps que se constituaient des conglomérats financiers. Il a connu, dans la plu-part des pays et sous des dénominations diverses (bancassurance, assurfinance, Allfinanz, financial supermarket, Privatbancassurance), une expansion spectaculaire.
Au Luxembourg, la bancassurance s’est développée dans le sillage du succès rencontré par l’assurance-vie internationale à la suite de l’ouverture du marché unique européen, dans les années 1990. Son importance s’est fortement accrue quelques années plus tard, lorsque les assureurs luxembourgeois ont bénéficié d’une réglementation leur permettant de proposer à une clientèle haut de gamme, les très convoités high net worth individuals, des contrats personnalisés à fonds dédié qui constituent la déclinaison de la gestion de fortune dans sa version assurance. Les banquiers n’ont pas tardé à comprendre l’intérêt de la formule : ils contribuent largement à la distribution de ces produits d’assurance sophistiqués qui n’ont pas d’équivalent en Europe ; ils se chargent de leur gestion financière ; et ils sont légalement investis de la fonction de dépositaire des actifs financiers des assureurs de la place.
Ces points de rencontre entre la banque et l’assurance-vie ne doivent cependant pas conduire à confondre les deux métiers qui restent, comme l’a rappelé Victor Rod, président du comité de direction du Commissariat aux Assurances (CAA), profondément différents. Banque et assurance obéissent à des réglementations qui leur sont propres. Leur surveillance relève de deux autorités distinctes, tant au niveau national (CSSF et CAA) qu’au niveau européen (EBA et EIOPA). Leurs règles comptables ne sont pas identiques, les compagnies d’assurance étant par exemple tenues d’inscrire à leur bilan tous les actifs gérés pour le compte des clients. Quant aux contrats d’assurance-vie, ils présentent des spécificités qui ne permettent pas de les assimiler aux produits d’épargne bancaires ; en particulier, ils n’entrent pas dans la succession du souscripteur, parce qu’ils reposent sur la technique juridique de la stipulation pour autrui.
Concernant la commercialisation de leurs services au sein de l’Espace économique européen (EEE), Victor Rod a souligné que les assureurs-vie subissent des contraintes spécifiques auxquelles échappent les banquiers. Ainsi, lorsqu’un banquier luxembourgeois opère à l’étranger sous le régime de la libre prestation de services (LPS), le droit applicable à ses produits reste le droit luxembourgeois. En revanche, les règles communautaires régissant la LPS en assurance-vie imposent l’application du droit du contrat en vigueur dans le pays de résidence du client. Or, le droit du contrat est une matière non harmonisée, qui varie sensiblement d’un pays à l’autre. Ceci entraîne pour l’assureur-vie opérant à l’international des difficultés pratiques considérables car il est contraint d’adapter ses contrats à l’environnement réglementaire de chaque pays de commercialisation. À cette première embûche s’en ajoute une autre : la souscription d’un contrat d’assurance-vie doit être précédée d’une information précontractuelle plus lourde que celle imposée au banquier ; de surcroît, elle est assortie d’un droit de rétractation qui peut être actionné par le souscripteur dans un délai de 30 jours. Les incertitudes entourant, dans certains pays, le point de départ de ce délai obligent les assureurs-vie émettant des contrats adossés à des fonds d’investissement à multiplier les précautions, sauf à encourir ultérieurement, dans des périodes de chute des marchés boursiers, d’importants risques financiers. Un tel droit de rétractation n’existe évidemment pas lorsque des fonds d’investissement sont commercialisés par un banquier. Il résulte de tout ceci que le métier d’assureur-vie en LPS est difficile : il exige un savoir-faire pointu, appuyé sur une parfaite connaissance de l’environnement légal des divers pays de commercialisation.
Pour autant, les assureurs ne sauraient être dépeints en souffre-douleurs de la LPS. Ils peuvent se prévaloir d’avantages compétitifs importants : la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie en fait un excellent outil de planning successoral ; et l’assurance-vie profite d’un régime fiscal favorable aussi bien dans la législation de nombre de pays européens que dans la réglementation communautaire (elle échappe à la retenue à la source européenne).
Il n’est donc pas surprenant que Victor Rod ait exprimé sur l’avenir de la bancassurance à Luxembourg un optimisme prudent, en assortissant son propos d’une réserve et de mises en garde. La réserve concerne la fiscalité applicable au contrat d’assurance-vie, dont l’aggravation sous l’effet de la crise affectant les finances publiques de nombreux États européens aurait évidemment un impact négatif. Les mises en garde s’adressent aux professionnels concernés, invités à respecter strictement les spécificités respectives de la banque et de l’assurance, et à veiller notamment à ce que les produits proposés dans le cadre de la bancassurance soient de véritables contrats d’assurance-vie protégés du risque de requalification fiscale.
Ces mises en garde ont été relayées par l’avocat Philip Woolfson qui, après avoir brossé un tableau panoramique de la réglementation communautaire applicable à la banque et à l’assurance, a exhorté les intéressés à présenter des contrats d’assurance-vie qui se démarquent clairement des investissements directs proposés par les banques. Il a évoqué également des projets de directive concernant la transparence des rémunérations afférentes aux services financiers ; leur concrétisation risquerait de troubler la romance entre banquiers et assureurs, tant il est vrai que les unions les plus durables sont celles qui reposent sur des intérêts partagés.
Indépendamment de ces considérations sur le cadre général de la bancassurance, le colloque de l’ALJB a donné lieu à des interventions de qualité portant sur les principales questions techniques soulevées par le sujet. C’est ainsi qu’ont été traités, sans que les orateurs puissent tous être mentionnés : le rôle du banquier en sa qualité de dépositaire des actifs financiers de l’assureur luxembourgeois, un point qui de l’avis général procure aux clients un haut niveau de sécurité ; l’utilisation du contrat d’assurance-vie comme instrument de garantie ; l’intervention du banquier en tant que gestionnaire financier du contrat d’assurance-vie ; la délimitation des rôles et responsabilités du banquier et de l’assureur dans la distribution des contrats d’assurance-vie ; les questions soulevées par l’ouverture de la succession du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie ; et enfin les mesures d’assainissement et de liquidation applicables aux compagnies d’assurance. Ces exposés ont démontré que la place est désormais dotée d’un réel savoir-faire juridique en la matière ; et ils ont été suivis avec attention par un public dans lequel on pouvait noter, à côté des professionnels de la banque et de l’assurance, un grand nombre d’avocats.
Le compte-rendu détaillé de ces interventions techniques excède le cadre du présent article. Les lecteurs intéressés pourront se reporter aux actes du colloque, dont l’ALJB a annoncé la publication pour le mois de juin prochain. Nul doute que cet ouvrage deviendra un outil incontournable pour tous les acteurs de la bancassurance.