La première décision du tribunal administratif portant sur l’interprétation de la loi du 31 mars 2010 sur l’échange d’informations fiscales sur demande s’est faite attendre. Elle est enfin tombée le 12 décembre, soit six mois après l’introduction du recours d’une société de participations financières (soparfi) refusant de se plier aux injonctions de l’Administration des contributions directes, laquelle agissait à la demande du fisc français. Six mois, c’est long ; la législation prévoyant des délais raccourcis pour trancher les demandes de renseignement (moins de trois mois). La matière est toutefois nouvelle pour les juridictions administratives, qui plus est, n’ont pas dans leurs gênes des délais fixes de procédure, bien qu’en règle générale les magistrats travaillent vite.
Le résultat pour autant pourrait décevoir ceux qui attendaient que les contours de l’échange de renseignements soient mieux dessinés : les juges ont déclaré irrecevable le recours de la soparfi, estimant que la loi du 31 mars 2010 ne pouvait pas encore s’appliquer. Leur raisonnement, soutenu par le représentant de l’État, est un peu particulier et signifierait, selon un des premiers commentateurs de la décision, que « si une autorité étrangère demande des informations antérieure ou même postérieures au 1er janvier 2010, le Luxembourg va les refuser ».
S’appuyant sur l’article 22 de la convention de non-double imposition entre la France et le Luxembourg, dans sa version ancienne, le texte ayant été modifié en 2010 pour prendre en compte l’échange d’informations sur demande selon les standards de l’OCDE, l’ACD avait réclamé le 13 mai aux dirigeants de la société incriminée une série de pièces, parmi lesquelles le détail des enregistrements comptables relatif à l’encaissement et à la réaffectation de dividendes perçus entre le 31 mars 2009 et le 31 mars 2011 ainsi que des informations sur une filiale française pour l’exercice 2010.
La soparfi sollicite alors un délai d’une mois en invoquant la loi du 31 mars 2010. Le fisc luxembourgeois accepte la demande, mais précise que la nouvelle donne législative ne s’applique que dans le cas où des informations devaient être sollicitées auprès d’un institut financier. Dans une deuxième étape, la société introduit un recours devant le tribunal administratif, sur la base précisément de la nouvelle loi du 31 mars 2010. L’un des volets juridiques que le tribunal dut trancher fut celui du point de départ de la réglementation sur l’échange d’informations sur demande entre les administrations étrangères. Du côté de l’État luxembourgeois, on considère que les dispositions de l’avenant avec la France s’appliquent aux revenus afférant à toute année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier de l’année qui suit immédiatement la signature de l’avenant, intervenue le 3 juin 2009. En l’occurrence, tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 ? Comme la décision de l’ACD se rapporterait à plusieurs années d’imposition « clairement antérieures à 2010 », les dispositions relevant de la loi du 31 mars 2010 ne s’appliqueraient pas, mais plutôt celles de l’ancienne convention fiscale. Ce que l’avocat de la soparfi a bien sûr contesté, estimant qu’un des deux exercices contrôlés de la société française est 2010 et que, pour l’entité luxembourgeoise dont l’année sociale démarre le 1er avril pour se clôturer le 31 mars de l’année suivante, les documents réclamés au titre de la coopération fiscale concernent les années 2009, 2010 et 2011.
Les juges ont rappelé le cadre : l’article 22 de la convention nouvelle version « s’applique aux revenus afférants à toute l’année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 ». Et que réclame le fisc ? Les écritures comptables relatives à une réduction de capital décidée le 11 décembre 2009, donc avant l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture de la convention. L’administration demande également une liste des mouvements entre le 31 mars 2009 et le 31 mars 2011, donc sur une période à cheval sur la période précédant l’entrée en vigueur des nouvelles règles avec la France. « En l’absence de disposition transitoire et eu égard à l’unicité du caractère de la demande de renseignement ayant pour objet de faire ressortir une liste de mouvements d’un compte sur une ligne du temps, il échet de constater que le point de départ de la demande de renseignement se situant avant l’entrée en vigueur de la modification de l’article 22 de la convention, les mouvements intervenus postérieurement y sont intrinséquement rattachés de sorte qu’il faut en conclure que l’article 22 de la convention dans sa version antérieure à la modification intervenue le 1er janvier 2010 a également vocation à s’appliquer ». Les dirigeants de la soparfi n’auront pas le droit au traitement dérogatoire de la loi du 31 mars 2010, qui offre notamment les voies de recours devant les juridictions administratives plutôt qu’une simple saisine du bureau d’imposition ou du directeur de l’ACD dans un délai de trois mois. Un recours devant la Cour administrative devrait être introduit.