Deux fois par an, les éditions Estuaires éditent, dans la « collection 99 », ce que l’on pourrait presque appeler un coffret de poésie, réunissant un recueil de poèmes d’un auteur luxembourgeois et d’un auteur étranger. En 2008 ce furent André Schmitz et Lambert Schlechter, ainsi que Paul Mathieu et Laurent Fels. Le premier coffret de l’année en cours est donc composé de L’Écoute du silence de Nic Klecker, qu’il n’est plus besoin de présenter, et d’Une meurtrière dans l’éternité d’Alain Jégou, poète français, breton pour être plus précis, auteur de plus d’une trentaine de recueils, ancien marin pêcheur, qu’on sait proche de la culture amérindienne et des textes et désirs de la Beat Generation.
Et en effet, les poèmes d’Alain Jégou décrivent cette éternelle envie de rompre avec la routine et le confort, parlent de coques de bateaux, de sexes de femmes, de voyages et de quêtes qui sont autant d’errances. Kerouac fait signe. Ulysse probablement aussi. Le travail des sonorités est très prononcé dans la plupart des poèmes d’Alain Jégou : indéniables préférences pour les paronomases et les assonances ; usage presque spontané de rimes (internes mais aussi plates ou embrassées). Des textes très denses, très chargés donc, parfois à la limite de la saturation sonore.
Il n’en est pas ainsi des poèmes de Nic Klecker. Dépassant rarement les six vers (et ces vers dépassant rarement les quatre mots), les textes sont d’une grande sobriété, leur ton posé, lucide, sans pour autant cacher la grande douleur qu’il porte. Ce dépouillement, jusque dans le vocabulaire, jusque dans le choix des mots, l’auteur préférant aux termes trop spécifiques, trop techniques, trop rares, des termes généraux, communs, ne fait que redoubler la force expressive des poèmes : « Les fleurs/ et les arbres/ crient/ après ta présence ».
Comme dans ses textes antérieurs, Nic Klecker nous livre une vision très subjective de la nature, c’est-à-dire il décrit des paysages, des pans de nature, qui sont autant de paysages intérieurs, des pans de l’âme de l’auteur. Il nous livre le monde à travers « un regard à demi intériorisé », comme le dit Frank Wilhelm sur la quatrième de couverture. Le poète, en disant le mouvement des nuages dans le ciel, en disant l’inclinaison des arbres dans la forêt, en disant le vol de l’oiseau, dit sa douleur, dit son deuil, dit l’incompréhension qu’il éprouve face aux grandes épreuves d’une vie.
Il est étonnant de voir que Nic Klecker reprend des topoi vieux comme l’écriture elle-même, à savoir par exemple la nature pleurant la mort d’un être cher (dans le texte de Virgile, même les chênes partagent la douleur d’Orphée), et qu’il réussit à leur redonner une intensité littéraire sans que leur banalité seule – le cliché comme on dit – ne soit mise en avant, mais, au contraire, leur valeur persuasive, leur capacité de toucher le lecteur.
Intéressant coffret poétique donc que forment L’Écoute du silence et Une meurtrière dans l’éternité, par leur diversité, par la différence des sujets abordés, des tons et des rythmes utilisés. Et un changement bienvenu si l’on considère que la poésie luxembourgeoise est publiée en quasi exclusivité aux éditions Phi.
Nic Klecker : L’Écoute du silence et Alain Jégou : Une meurtrière dans l’éternité ; Éditions Estuaires, collection 99, avril 2009, 56 pages et 60 pages ; ISBN 978-2-9599704-6-7.