Depuis le début de cette année, la Poste facture trois euros aux clients retirant de l’argent à ses guichets. Dans une réponse à une question parlementaire, les ministres de l’Économie et des Finances estimaient que ceci était nécessaire pour garantir que la structure tarifaire reste « compétitive ». Si ces trois euros peuvent sembler dérisoires, ils ne le sont pas pour les demandeurs de protection internationale (DPI) qui touchent actuellement 26,27 euros d’« argent de poche » par mois (cette somme avait été de 108 euros, avant d’être réduite par le gouvernement CSV-LSAP en 2013). Cet argent transite obligatoirement par les CCP de la Poste. Or, jusqu’à récemment, un DPI n’avait pas droit à une carte bancaire. Depuis ce mois d’août, le groupe Post a distribué quelque 800 cartes de débit « MyCash » aux DPI, afin de leur éviter de devoir payer les frais d’agence.
Mais les trois euros ont également une charge symbolique, car ils posent la question du « droit au compte ». Depuis fin 2000, la Poste est légalement obligée de mettre à disposition des services financiers de base à toute personne, également aux plus démunis (des sans abri aux sans-papiers). La loi prévoit que « toutes les personnes, physiques ou morales, sans égard à leur nationalité, ont le droit d’ouvrir un compte courant auprès de l’entreprise. » (Un droit qui n’inclut pas les cartes de crédit.)
Il aura fallu attendre une directive européenne pour que le gouvernement élargisse cette obligation aux grandes banques de détail luxembourgeoises. Depuis le 13 juin, elles ne pourront plus refuser à un client les services bancaires élémentaires tels que la perception du salaire et des prestations sociales, les virements et ordres permanents, les retraits en espèces ou l’utilisation d’une carte de paiement.
Alors que le gouvernement se vante de la rapidité avec laquelle il transpose les directives touchant à la place financière (généralement dans le sens le plus business-friendly possible), la directive sur le droit au compte aura été adaptée avec presqu’une année de retard.
Pour éviter que les high-net-worth individuals, cette nouvelle clientèle visée par la banque privée, ne se mélangent avec les sans-papiers, sans domicile fixe ou sans-emploi, le législateur luxembourgeois a pris des précautions. « Il est approprié dans le contexte luxembourgeois, notamment en raison de la diversité des modèles d’affaires des banques de la place, d’imposer l’obligation d’offrir des comptes de base […] à un certain nombre d’établissements concernés au lieu de couvrir l’intégralité des banques de la place, notait ainsi la Commission des Finances et du Budget (Cofibu) en mai. Imposer cette obligation par exemple aux banques privées à guichet fermé est en effet peu approprié et disproportionné en l’occurrence. »
Comme l’expliquait un fonctionnaire du ministère des Finances aux membres de la Cofibu, seules la BCEE, la BGL BNP Paribas, la Bil, la Poste et la Raiffeisen seront finalement obligées à proposer des « comptes de paiement de base ». La loi introduit deux critères cumulatifs : la banque doit détenir au moins 2,5 pour cent du total des dépôts garantis et compter au moins 25 agences. Devant la Cofibu, le fonctionnaire du ministère en convenait : il ne serait pas à exclure « que le critère du nombre d’agences minimal pourra être révisé ou remplacé à l’avenir par un critère tenant compte de la présence bancaire sur internet. Il pourra également être tenu compte du fait que de plus en plus d’agences ne seront plus qu’équipées de machines et fonctionneront sans personnel. » À l’heure où les banques luxembourgeoises réduisent leur présence physique à travers le pays, ce critère risquera en effet de s’avérer peu durable. Depuis 1996, la BCEE a ainsi réduit de 101 à 65 le nombre de ses agences. Quant aux autres banques actives dans le segment de la clientèle de détail (BGL, Bil, Raiffeisen), elles comptent aujourd’hui environ quarante agences chacune. Avec seize agences, l’ING ne tombera pas sous la nouvelle loi et ne sera donc pas obligée d’offrir des services de base.
Le Luxembourg a opté pour une transposition assez timide de la directive. C’est ce qu’on remarque en faisant une petite analyse comparative. La directive note que « pour encourager les consommateurs vulnérables non bancarisés à prendre part au marché de la banque de détail, les États membres devraient pouvoir prévoir que des comptes de paiement assortis de prestations de base doivent être proposés à ces consommateurs à des conditions avantageuses, par exemple à titre gratuit. » Certains pays ont opté pour un plafonnement des frais. L’Autriche a ainsi fixé un maximum de quarante euros par an pour les consommateurs tombant sous la catégorie de « sozial und wirtschaftlich besonders schutzbedürftig ». L’Irlande a prévu la gratuité des services de base pour une durée initiale.
Le gouvernement luxembourgeois a repris la formulation vague de la directive, qui indique que les services liés au compte de base devront être proposés « à titre gratuit ou moyennant des frais raisonnables ». Ce que « frais raisonnables » veut dire, n’est pas spécifié, sauf qu’ils doivent être calculés « en tenant au moins compte des niveaux des revenus nationaux ». Or ceux-ci, comme le rappelle l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) dans son avis, « restent élevés et souvent inabordables pour les consommateurs vulnérables, voire non résidents ».
La Chambre de Commerce félicitait par contre le gouvernement du « fait que le projet de loi permette aux établissements d’offrir un compte de paiement assorti de prestations de base moyennant des frais raisonnables, compte tenu du fait que l’ouverture d’un tel compte engendre des frais de gestion, de fonctionnement ainsi que de contrôle et de reporting imposés par la loi. »
Le jeudi, 1er juin, lors du bref débat à la Chambre des députés sur la transposition de la directive, le ministre des Finances (et ancien directeur de la Chambre de Commerce), Pierre Gramegna (DP), plaidait pour « un équilibre nécessaire » entre accès aux services pour les consommateurs et contrôle des coûts pour les banques. « An ech mengen, déi bescht Protektioun, déi de Consommateur ka kréien, ass en fait wat fir eng ? Ma dass d’Konkurrenz spillt ». Puis, d’ajouter : « Mir gleewen un d’Konkurrenz. D’Konkurrenz ass dat, wat d’Präisser no ënne bréngt. Et ass dat, wat d’Effikassitéit bréngt fir de Consommateur. »