Entretien Skype avec Catherine Lorent, quelques jours avant l’ouverture officielle de la 55e Biennale de Venise, pour laquelle elle représente le Luxembourg. Certaines récompenses sont déjà tombées et iront aux mains, d’une part de l’artiste autrichienne, Maria Lassnig (née en 1919) et qui travaille depuis toujours sur l’interprétation du corps humain, et d’autre part à Marisa Merz (née en 1926 à Turin, épouse de Mario Merz, décédé en 2003) et unique représentante féminine de l’arte povera. Sans doute tout un symbole que d’attribuer le prix à des femmes qui perdurent dans l’art, de part leur forte constance et leurs recherches, chacune son indépendance de créatrice, aussi.
Tout comme ces deux lauréates, Catherine Lorent semble constante dans ce qu’elle réalise artistiquement, ainsi elle tourne depuis plus de vingt ans autour du Gesamtkunstwerk. Elle lie la musique (essentielle pour elle) à sa propre compréhension du monde, en ce qu’elle perçoit de lui, en utilisant donc le son, la performance, mais aussi le dessin grand format. Une confrontation entre la réalité technique actuelle et le baroque. Elle navigue dans une sorte de glamour légèrement suranné, destroy, présenté par couches et perceptibles et palpables à différents niveaux de compréhension. Il s’agit donc davantage d’expériences que d’œuvres d’art qu’on observe et tâche de comprendre au mieux.
Dans son atelier berlinois, elle répète justement South of Heaven, écrit par feu le guitariste du groupe trash metal mythique, Slayer, Jeff Hannemann. Elle se prépare avec l’une de ses artistes-complices, l’accordéoniste Natasha Gehl. Elles performeront en live, avec guitare électrique, accordéon et harmonium à la Ca’ del Duca, pavillon luxembourgeois, le 29 mai.
d’Land : Quel est le point départ de votre aventure Biennale de Venise 2013 ?
Catherine Lorent : Je vis et travaille à Berlin et je ne sais pas toujours exactement ce qu’il se passe au Luxembourg, la Biennale de Venise, j’en ai une perception récente d’ailleurs. Au fait, depuis Martine Feipel et Jean Beichameil en 2010. Ça m’avait impressionné de voir la position du Luxembourg à Venise. Ça a commencé à m’intéresser, j’ai clairement eu le souhait de présenter un jour un projet pour la Biennale et me confronter à un public plus averti. Mais je savais qu’il fallait présenter un projet avec un curateur et j’étais restée sur cette idée qui m’agaçait d’ailleurs, puisque je n’avais pas trop de connaissances dans le milieu de l’art contemporain luxembourgeois, malgré le prix Schuman auquel j’ai participé en 2012 et les expositions et performances que j’avais faites. Mais peu avant l’échéance en 2012, j’ai appris qu’on pouvait présenter son projet tout seul. C’est Kevin Muhlen du Casino Luxembourg qui m’a prévenue. C’est bien tombé. Je m’y suis donc collée.
Comment avez-vous appréhendé votre projet ?
Je me suis demandée ce que j’aimerais moi-même voir à la Biennale, dans le pavillon luxembourgeois. C’est toujours de cette manière que je procède. Forcément des choses qui me sont proches, un projet d’art total, mais surtout quelque chose d’atemporel et de pathétique à la fois. Au moment de la réflexion sur le projet à introduire, j’étais en vacances en Auvergne et j’y ai visité des églises baroques, j’ai fait rejoindre tout ce que j’avais déjà créé et accumulé, surtout du son avec celles-ci et j’ai écrit et dessiné Relegation. Un projet où apparaît aussi bien le pathétique que le prolétaire (en rapport avec la relégation au football), mais aussi le fait de se faire exclure d’une école, tout cela accompagné de grands dessins, tels des baldaquins et beaucoup de guitares Gibson Explorer, et puis trois pianos à queue aussi – des instruments émettant des sons, mais réagissant aux bruits et aux mouvements des spectateurs, car pourvus d’un système de capteurs. Tout ça, je l’avais en tête... Voilà. Ensuite avec toutes ces idées, j’ai été voir quelques personnes de confiances, notamment Ainhoa Achutegui, directrice artistique du Centre des arts pluriels d’Ettelbruck, et Jean Reitz de l’Agence luxembourgeoise d’action culturelle ainsi qu’un ami berlinois, constructeur de guitares, qui travaille avec Gibson. J’ai fait des dessins tests, j’ai adapté le budget en sachant qu’il me faudrait des sponsors, si je continuais à voir aussi grand.
Relegation fut donc accepté par le jury, avez-vous beaucoup réaménagé votre projet par la suite ?
Quand le projet a été accepté, j’ai tout simplement lancé la machine, sans trop me poser de questions, accompagnée de toute l’équipe du Mudam et de mes amis berlinois. C’est formidable d’être encadrée à ce point-là. D’un point de vue artistique, ce sont donc joints au projet, Natasha Gehl et Martin Eder (peintre et fondateur du groupe black metal Ruin), mais aussi l’ingénieur du son luxembourgeois, Christian Neyens, qui travaille pour Universal à Berlin. C’est avec lui que j’ai le plus travaillé, parce qu’il me fallait tout un système, il fallait construire une interface analogue avec des fichiers midi, pour faire interagir les sons et obtenir un doom metal, tel que je le souhaitais. Maintenant que tout est monté, je souffle et je suis satisfaite, je pense que le gros stress, je vais l’avoir dans l’avion, la avant-veille de l’ouverture officielle.
Votre projet semble très technique, serait-il un peu masculin ou la question du genre ne joue aucun rôle dans vos créations ?
La question ne se pose pas, je crois. Mais peut-être cela vient du fait que depuis plus de six ans, j’ai mon projet Gran Horno et que depuis les années 1990, je joue de la basse dans des groupes de mecs. J’ai toujours voulu avoir un groupe de musique de filles, mais ça ne s’est pas fait. Et puis le travail avec les hommes me convient, il y a davantage de retours et c’est direct, plus simple, plus vivant. Du coup, sans doute cela se ressent dans mon travail artistique et je peux allier une esthétique féminine à une compréhension masculine et vice-versa.
Comment définissez-vous l’art ? L’art pour vous doit-il être en apposition avec l’actualité, le politique ?
Bonne question, cela dépend de l’actualité. J’ai longtemps travaillé, notamment pour ma thèse, sur l’histoire du Luxembourg sous l’occupation nazie et sur l’esthétique nazie, donc forcément, mon art est devenu politique. Et puis, dans le contexte de l’art, je m’intéresse au statut de l’artiste qui est encore très précaire au Luxembourg, l’art n’est encore que trop souvent considéré comme activité parallèle – un loisir. Et avec les artistes Trixi Weis et Bruno Baltzer, nous sommes en train de monter un projet d’association qui veillera à soutenir les artistes indépendants, mais aussi et surtout à proposer des modifications quant au statut d’artiste indépendant existant, qui nous semble inadapté. Et pour ce qu’est l’art pour moi, c’est tout d’abord la créativité, beaucoup de couches de perception, une forme de liberté individuelle, mais aussi une certaine recherche (technique, histoire), une aventure et ce que les hommes savent faire sans concessions. De façon anodine, l’art c’est une fête, c’est aussi la chance d’être au bon moment, au bon endroit. C’est une life performance.