S’écartant du modèle classique dédié purement aux arts visuels, l’exposition actuelle au Mudam prend son point de départ dans le domaine de la littérature. L’exposition L’image papillon est structurée autour de l’œuvre de W.G. Sebald et plus précisément autour de quatre de ses ouvrages (Schwindel. Gefühle, Die Ausgewanderten, Die Ringe des Saturn et Austerlitz) et se voue à la relation complexe entre texte et image.
Dans ses ouvrages souvent empreints d’une atmosphère mélancolique et mystérieuse, W.G. Sebald (1944-2001), auteur d’origine allemande, recourt régulièrement à des motifs sombres comme la destruction, le déclin et la finitude dans le temps. Afin d’illustrer ses textes, il se sert d’une méthode plutôt singulière : il y ajoute des images en noir et blanc qui ne comportent aucune indication de date et de lieu et qui sont sans lien apparent avec le texte. L’association texte-image se fait en conséquence en fonction du vécu du lecteur et joue sur la corrélation entre réalité et fiction. Le Mudam a choisi seize artistes dont les œuvres, étalées sur deux niveaux du musée et accompagnées chaque fois d’une double page extraite de l’un des ouvrages de Sebald, tissent des liens directs et indirects entre elles et avec l’œuvre de Sebald et suscitent un travail de réflexion et d’association auprès du visiteur.
On décerne trois thèmes récurrents : la notion de temporalité, la récupération d’objets ou d’images existants et la fragmentation. Felix Gonzalez-Torres insère dans ses œuvres simples mais poétiques des éléments biographiques et relate à la fois une histoire personnelle et une histoire collective. Les œuvres sélectionnées pour L’image papillon s’inscrivent dans le cadre d’une recherche sur l’évolution dans le temps et sur l’éphémère. Le spectateur est invité à emporter l’un des bonbons bleus étalés sur le sol et l’une des affiches empilées, conduisant par là à une réduction progressive de la quantité exposée, voire à un anéantissement de l’œuvre.
La finitude dans le temps revient dans les photographies The End et Web ainsi que dans la vidéo My Necropolis de l’artiste canadienne Moyra Davey, mais avec une connotation plus dramatique en montrant des tombes, se référençant directement à la mort. Dans sa série de douze photographies (L’Image fantôme de 2012), l’artiste thématise le temps d’une façon plus ludique : réalisées pour l’exposition sur Sebald, les photographies ont toutes été envoyées sous forme de carte postale pliée au commissaire de l’exposition, Christophe Gallois, et témoignent du voyage parcouru par l’œuvre.
Les six blocs d’albâtre qui composent l’œuvre Three Pairs de Tacita Dean et sur lesquels l’artiste a dessiné à la pointe-sèche évoquent eux aussi l’image d’une tombe. Dean fait partie des artistes qui se sont intéressés de près à l’œuvre de Sebald ; elle lui a même dédié un texte. Le film Sound Mirrors, qui montre des ruines dans un paysage naturel, et la série de vingt photogravures The Russian Ending, pour lesquelles Dean a reproduit des images de catastrophes, d’accidents, de ruines et d’enterrements, engendrent une atmosphère nettement plus lourde et chargée s’alliant de ce fait à l’ambiance mélancolique des ouvrages de Sebald.
À l’instar de la reproduction d’images trouvées de Tacita Dean, les artistes Jason Dodge et Helen Mirra déploient dans leur œuvre des objets trouvés ou récupérés. Pour son installation Darkness falls on Wolkowyja 74, 38-613 Polanczyk, Poland, Dodge demande à l’une de ses camarades de collectionner dans sa maison tous les objets liés à la lumière. Déposées au sol, les ampoules, bougies, piles etc. fonctionnent comme preuve, voire comme inventaire du lieu d’habitation d’une personne donnée, qui elle-même est pourtant absente.
Helen Mirra quant à elle se sert d’objets recyclés qu’elle allie avec des éléments naturels. Pour la série Grey index, elle s’est inspirée directement du récit Die Ringe des Saturn, dans lequel Sebald décrit le voyage du protagoniste dans le paysage dépeuplé du comté anglais de Suffolk. Mirra a inscrit des mots, comme « société anonyme Belge pour le commerce du Haut-Congo », « Tumba & Thysville » et « South african diamond mines », sur du coton, qui se lisent comme un index, créant ainsi des liens de causalité entre eux. D’autres mots se rapportent à Franz Kafka et à Gregor Samsa, source d’inspiration pour Sebald.
John Stezaker, dont on a déjà pu contempler l’œuvre lors de son exposition au Mudam en 2011, est lui aussi un maître de la récupération d’images. Dans ses œuvres composées de photographies récupérées et découpées, la notion de fragment joue un rôle important en remettant la lecture de l’image en question et en déclenchant une association libre auprès de spectateur. Dominique Petitgand et Danh Vo se servent de ce même principe, l’un en proposant dans son installation sonore un collage de fragments de cinq installations sonores, l’autre en installant des fragments d’une reproduction en cuivre de la Statue de la Liberté dans le sous-sol du Mudam. Alors que dans l’installation de Petitgand, le vide entre les paroles et le son provoque une analogie avec la lecture d’un livre, l’œuvre de Vo a non seulement une connotation temporelle, mais implique aussi un dépaysement spatial.
Dans son ensemble, l’exposition se caractérise par une atmosphère plutôt sombre et pesante, reflétant l’ambiance des ouvrages de Sebald. Alors que, dans certaines œuvres, la référence à Sebald et à son univers est flagrante, d’autres travaux sont plus faibles et il convient de lire attentivement le texte explicatif afin de comprendre l’œuvre et son contexte avec l’exposition. La juxtaposition entre les extraits des livres de Sebald et les artistes choisis a été opérée de façon soignée. L’image papillon se propose dès lors comme parcours captivant, au cours duquel on découvre des liens inattendus et qui donne envie de se (re)plonger dans la lecture des ouvrages de Sebald.