La crise de l’automobile est derrière nous

d'Lëtzebuerger Land du 03.01.2025

2025 commence bien. Cette année encore nous avons survécu aux vacances de fin d’année. Et, surtout, à la pire épreuve que s’infligent toutes les familles qui partent en voiture pour les fêtes : le coffre de Noël. La crise de l’automobile est derrière nous, pour environ un an. Peut-être pas au niveau industriel, certes, mais au niveau familial, c’est déjà ça.

Le plus grand miracle du traîneau du Père Noël ce n’est pas qu’il soit tiré par des rennes qui volent, c’est que les cadeaux de tous les enfants tiennent à l’arrière. Faire son coffre, surtout en cette période, est un des moments de vérité dans le couple, avec l’éducation des enfants, le choix de ce qu’on regarde à la télé ce soir ou le repas du dimanche dans la belle famille. Si l’un n’arrive pas à tout caser c’est sans doute que l’autre a mal fait les bagages, ou a choisi la mauvaise voiture, ou bien a eu la curieuse idée de prévoir des pulls en hiver. L’exercice rappelle aux gens de ma génération le jeu vidéo Tétris. Pour les jeunes, adeptes des réseaux sociaux, cela évoque plutôt l’esthétique cluttercore, l’une des tendances déco du moment qui vise à accumuler des éléments très différents jusqu’à l’excès, à remplir complètement un espace en le saturant d’objets disposés tels un puzzle multicolore.

Les petites épreuves de rangement du quotidien sont souvent l’occasion de confronter les approches de chacun. Êtes-vous celui qui remplit le lave-vaisselle au maximum ou celui qui privilégie un lavage optimal, quitte à laisser parfois des espaces vides entre les assiettes à soupe ? Êtes-vous un partisan des courses en casiers qui s’empilent sans peine, ou plutôt dans des sacs qui se portent plus facilement ? Les chaussettes doivent elles être alignées en bas de l’étendage ou bien réparties un peu partout pour boucher les trous ? Avec le coffre de Noël, il faut développer de nouvelles stratégies chaque année, en fonction des cadeaux du moment, surtout si vous rejoignez une famille nombreuse, qui n’a pas encore succombé aux charmes du Secret Santa.

Par exemple, si vous devez transporter un air fryer, une trottinette électrique, un château Playmobil et un service de douze verres en cristal, il faut songer à répartir les gros objets sous les fragiles, les mous entre les durs, tout en laissant la place pour les bagages habituels que le climat hivernal ne contribuera pas à alléger. Défi supplémentaire : les enfants ne doivent évidemment pas voir les cadeaux qui seront ouverts trois jours plus tard. Bref, si en plus vous allez au ski, difficile de voyager moins rempli que le parking du Knuedler un week-end de décembre.

Si l’aspect visuel donne un avant-goût du résultat, c’est à l’oreille que se mesure vraiment l’étendue du succès ou du désastre. Le sinistre craquement d’un plastique au moment de claquer vigoureusement le hayon porte un coup aussi fatal à l’amour propre qu’à l’intégrité du chargement. Le fracas sourd au premier coup de frein brusque causé par la chute de divers objets mal calés offre une alternative guère plus réjouissante. Inutile d’essayer d’estimer l’étendue des dégâts avec le rétroviseur, cela fera partie des bonheurs réservés à l’arrivée, quand vous ouvrirez le coffre sous une pluie battante, après six heures de conduite, alors qu’un ou deux autres cartons tomberont sur le bitume.

Une fois sur la route des vacances, en fait, on ne pense plus tant à soi qu’aux véhicules qui nous entourent, en goûtant toute la saveur de l’aphorisme sartrien selon lequel « l’enfer, c’est les autres ». Si cela ne fait aucun doute à la croix de Bettembourg, aux barrières de péage, sur le ring de Bruxelles, ou à l’entrée des tunnels alpins, on pourra en l’occurrence trouver que ce sont aussi ces mêmes « autres » qui rendent cet enfer plus supportable. Ainsi, sur l’autoroute, on dépasse toujours pire que soi. Ceux qui ont casé les trousses de toilette dans la boîte à gants ou les valises sur les genoux des enfants, ceux qui sont lestés d’une remorque ou d’un coffre de toit, et les légendaires camping-cars néerlandais, que le volume de chargement dédouane sans doute de tout effort d’optimisation, mais au prix d’un petit déménagement à chaque départ. Ce n’est pas pour rien que l’Autofestival tombe en janvier, à ce moment de l’année où vous êtes prêts à renier vos idéaux écologiques et à choisir un véhicule polluant, difficile à garer contre un imposant volume de chargement.

Le 25 matin, vous avez tremblé en découvrant ce qui vous attendait au pied du sapin, en espérant recevoir une montre ou un abonnement Spotify et pas un vélo ou un fauteuil. On s’est dit qu’on voyagerait plus léger au retour, qu’on ne ramènerait rien. C’est sans compter sur les virus hivernaux, qui ont toutes les chances de s’inviter sur le chemin du retour. Il faut leur reconnaître qu’ils ne tiennent pas de place, et qu’ils auraient plutôt pour conséquence de… faire le vide.

Cyril Boyer
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