Le sixième Forum mondial de l’eau (FME), qui s’est tenu à Marseille du 12 au 17 mars, s’est clôturé sur un bilan en demi teinte. Certes, cette manifestation qui est une émanation de l’industrie, a donné lieu à des prises de position notables tant de la part de ministres, de parlementaires nationaux, de représentant de collectivités locales et d’organisations non gouvernementales, mais il laisse un goût de « trop peu » quant aux engagements concrets, alors même qu’il avait pour thème « le temps des solutions et des engagements ».
« Les défis sont immenses et les faits tenaces », a souligné le Premier ministre français François Fillon, dans son discours d’ouverture invitant les congressistes à « réfléchir aux moyens de rendre l’accès à l’eau universel en 2030 » et « la communauté internationale à se mobiliser pour remédier » au fait que plus de deux milliards d’êtres humains vivent toujours sans eau salubre.
La déclaration adoptée par les quelques 120 ministres le 13 mars, met l’accent sur « l’accélération nécessaire » de la mise en œuvre des obligations liées à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en tant que droit de l’homme reconnu par les Nations unies en 2010. Elle précise qu’une approche globale des questions de l’eau, de l’énergie, et de la sécurité alimentaire constitue un facteur de croissance durable et de création d’emplois et qu’elle s’intègre dans le processus de croissance verte. Le texte rappelle qu’il convient de considérer l’eau dans toutes ses dimensions économiques, sociales et environnementales en s’appuyant sur un cadre de gouvernance, des financements et une coopération adéquats pour garantir l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement aux niveaux requis de disponibilité, de qualité, en mettant l’accent sur les plus vulnérables
Les ministres reconnaissent devoir « intensifier » les efforts pour prévenir et réduire la pollution de l’eau afin de se rapprocher des Objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies, d’ici 2015 qui prévoient une réduction de 50 pour cent des populations n’ayant pas à d’accès à l’eau potable et l’éradication de la pauvreté. Ils notent encore qu’il n’y a pas de sécurité alimentaire sans eau, insistant sur une approche intégrée pour assurer à la fois un usage efficace et la protection des ressources, ce qui implique des approches novatrices et sur mesure, répondant à la diversité des situations locales. Il en est de même pour l’énergie et l’industrie, l’eau étant l’un des entrants majeurs pour la production, la technologie et les procédés industriels.
Le tableau que dresse le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) sur l’état des ressources en eau en Europe, rendu public à Marseille, appelle lui des solutions urgentes. « Les ressources en eau sont soumises à de nombreuses pressions dans beaucoup de régions d’Europe et la situation empire », explique Jacqueline McGlade, directrice de l’AEE. « Tous les pays européens, même ceux du nord sont concernés. Il y a urgence. Et si elle ne l’est pas encore, la question deviendra rapidement politique au niveau de l’UE », dit-elle. D’autant que se profile d’ici à la fin de l’année la communication de la Commission européenne sur une nouvelle stratégie de l’eau pour l’UE et que les débats s’annoncent difficiles.
L’urgence est le maître-mot de ce sixième FME, car les effets du changement climatique et de la croissance démographique ont bien souvent vite gommé les améliorations globales et/ou ponctuelles de la situation. Et les parties estiment que ce droit de l’homme universel à l’accès à l’eau potable est dans les faits loin d’être réalisé.
Certes, politiques et industrie ont pris des engagements et les débats ont brisé certaines barrières et favorisé un dialogue ouvert, sans tabous, sur des sujets sensibles comme l’eau et l’agriculture, l’eau et la santé, les services publics et/ou privés. Bien sûr, il y a eu une « plateforme des solutions », créée sous forme d’un site interactif d’échange de projets et d’expériences : un « pot » commun qui rassemble des solutions parfois très technologiques, parfois plus simples, mais dans tous les cas efficaces avec un volet dédié au financement. Mais ces résultats sont maigres au regard de la situation plus que préoccupante de certains pays : là où certains pays en développement espéraient des engagements chiffrés en milliards de dollars, ils n’ont reçu que quelques centaines de millions d’euros.
Pour aboutir à des réalisations concrètes, il faudra qu’émerge une prise en compte du problème et par les politiques, par les financiers et par l’industrie (aspects opérationnels). Et force est de constater qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que l’objectif du « droit universel à l’eau garanti » et les intérêts de la grande industrie se croisent réellement. Pour preuve, la position d’Aquafed, la Fédération internationale des opérateurs privés de l’eau, qui s’est très officiellement engagée à « fournir des services d’eau et d’assainissement de qualité, à promouvoir l’intégrité dans les services de l’eau et à contribuer à trouver des solutions locales et globales aux défis de l’eau dans le contexte du Sommet des Nation unies Rio+20 ». Cet engagement quant à l’intégrité ne semblait pas aller de soi pour qu’elle ait besoin de le préciser.
Il est vrai qu’une fois de plus, le Forum n’a pu graver dans le marbre le fait que « l’eau est une ressource non aliénable et non privatisable ».
Et les deux sessions plénières finales – sur les solutions et sur les engagements – n’ont pas davantage clarifié les choses. La première consacrée pourtant aux solutions, malgré la présentation, dans un « Village des solutions », de projets concrets d’entreprises et de communautés locales, a déçu car trop théorique. « Je suis sur ma soif, a déclaré une déléguée togolaise, je pensais que nous aurions des exemples concrets ». « Et quand il n’y a pas d’eau, que fait-on ? », s’est interrogé un autre délégué. Quant à la seconde session sur les engagements, elle en a désarçonné plus d’un par son côté « fourre-tout », donnant raison aux plus sceptiques. Car se sont succédées les bonnes résolutions de lycéens français à « de ne plus gaspiller l’eau », l’engagement de la ministre de l’Environnement et de l’Eau de l’Ouganda, Maria Mutagamba, « à reconnaître qu’il faut de l’eau pour tous et maintenant » et l’annonce officielle par le ministre luxembourgeois, Jean-Marie Halsdorf, CSV, en charge de la politique gouvernementale de l’eau du vote unanime du 7 mars 2012 par la Chambre des députés de la loi portant approbation de la convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux de 1997. Il n’aura fallu que quinze ans.
Ce dernier a par ailleurs été plus concret dans sa présentation d’expériences luxembourgeoises au niveau local dans le domaine des partenariats de cours d’eau et des partenariats inondation dans le cadre des commissions fluviales du Rhin, de la Meuse et de Moselle-Sarre. Il a ainsi souligné l’importance de la coopération entre États riverains dans le domaine de la gestion des cours d’eau transfrontières
Car une seule chose est claire : les problèmes liés à l’eau sont multiples. Les solutions aussi. Et elles existent. Reste à les appliquer, ce qui demande des financements et, bien plus encore, une réelle volonté politique. Et le test clé sera de constater (ou pas ) une évolution au prochain sommet de la terre de Rio +20.