Commençons à rendre à César, en l’occurrence au critique Germano Celant, ce qui lui revient : C’est lui qui a introduit la désignation d’arte povera dans l’histoire de l’art, mouvement d’une douzaine, quinzaine d’artistes italiens à la fin des années 1960, sans véritable manifeste, on s’en apercevra très vite, les individualités reprenant le dessus. Il les avait quand même qualifiés de guérilleros, et il est vrai que tous, dans leur pratique, s’étaient élevés contre ce qui dominait alors, pour résumer disons l’impérialisme américain, dans l’art et au-delà. Et, en bons Italiens, leur référence pouvait être une pauvreté toute franciscaine, et comme Breton avait trouvé des surréalistes dans les siècles passés, eux aussi se rattachaient à tels ancêtres.
Plus simplement, plus pragmatiquement, rapportons la dénomination à autre chose. Ils tournaient le dos à la peinture, pour des objets, des installations empruntant beaucoup au théâtre, et employaient des matériaux tout simples, éléments naturels, trucs de récupération. Et tout pouvait y passer, exemple Jannis Kounellis, il a utilisé du charbon, du fer, de la laine brute, du coton, de la jute, du café, et j’en passe ; il a introduit des animaux vivants, oiseaux, poissons, chevaux, et comme Mario Merz, pour la vivacité, l’électricité qui traverse un néon, voire du feu. Celant voulait des artistes-alchimistes, « producteurs de choses magiques et merveilleuses ».
Leurs techniques étaient élémentaires, les gestes simples, nouvel exemple, Alighiero Boetti, couvrant des feuilles de papier de traces de stylo à bille, abandonnant carrément le travail de ses broderies artisanales aux femmes afghanes.
La pauvreté vs l’extrême richesse, et une irrésistible puissance de séduction (et d’interpellation). Ce qui ressort on ne peut mieux de l’exposition à la Bourse de commerce organisée par Carolyn Christov-Bakargiev. Celle-ci avait œuvré à Kassel, en 2012, à Istanbul, en 2015, avait pris la direction du Castello di Rivoli, haut lieu de l’arte povera ; elle pouvait en plus puiser dans la collection du maître de maison Pinault, à qui on ne refuse pas les demandes de prêts. Résultat, deux à trois heures de visite et d’émerveillement, et la preuve éclatante d’un art on ne peut plus proche de la vie.
Un parcours recommandable pour le visiteur, l’exposition reste ouverte jusqu’au 20 janvier). Comme des prolégomènes, dans les vitrines autour de la rotonde de Tadao Ando, avec entre autres Gutai, et côté italien Burri et Manzoni, et en fondement théorique, Guy Debord et les situationnistes. Et puis, l’on passe dans la rotonde, et c’est le coup de poing, le coup de cœur. Quel émerveillant et intrigant pêle-mêle autour duquel on ne se lasse pas de circuler. Des œuvres, une, deux, trois, des treize artistes, l’œil y va des unes aux autres, comme on feuillette les pages d’un livre d’images, mais l’œil s’y attache, à toutes ces matérialités diverses, à toutes ces formes, à tous ces questionnements. Che fare, demande le néon de Merz dans la bassine métallique, de l’autre côté réplique sous forme de foudre un néon hors de bottes de foin. Le gisant de Fabro est caché sous du marbre, la tête a disparu, tout près Boetti étendu au soleil ou dans la neige, fait de boules de ciment, ou encore la feuille de plomb rose de Calzolari.
Il faudrait les énumérer toutes, ces œuvres, les décrire. Et en conclure que les povéristes ont été à ce jour les artistes qui ont fait circuler le plus d’énergie dans leurs expositions, lieux de toutes choses en mouvement, de métamorphoses. Et conséquemment d’incessantes interrogations. Les deux moulages d’Aphrodite, de Paolini, intitulés Mimesi, se font face, comme si la déesse se voyait dans un miroir (ah, si habituel chez Pistoletto), avec étonnement.
Après, aux étages, les treize protagonistes (une seule artiste femme, Marisa Merz) ont chacun son propre espace. Et le visiteur le temps d’aller à chaque fois plus loin, plus profond. Et se rendre compte oui, s’il y a eu les toutes premières expositions, ensemble, que ces rétrospectives en miniature témoignent de la diversité des démarches et des créations. Même si elles peuvent être toutes rassemblées sous telle étiquette, essentielle, empruntée à Boetti, à un somptueux diptyque, stylo à bille sur papier, marouflé sur toile : Mettere al mondo il mondo. Ambition démesurée à partir de moyens les plus réduits.