Tout se passe comme si l’une des injonctions de la devise olympique le dictait, altius, ou comme s’il fallait approcher tel record : la hauteur de la tour Eiffel. Mais on en reste encore loin en arrière à ce jour, à Paris même, le deuxième plus haut édifice avec la tour Montparnasse ne fait que 209 mètres. Plus haute, avec 231 m, et record pour les gratte-ciel en France, la tour First (bien nommée) à la Défense, toutefois sur la commune de Courbevoie.
Chose qui frappe, la quasi-totalité de ce Paris à la verticale se trouve bien sûr rejetée à la périphérie, dans les arrondissements d’ouest ou d’est. De même pour les tours Duo de Jean Nouvel, à l’extrémité du 13e arrondissement, et d’une nouvelle tour en construction, due aux architectes suisses Herzog & de Meuron, dans le 15e, à la porte de Versailles. Des quartiers sont ainsi appelés à se transformer, dans le nord parisien aussi, avec le nouveau Tribunal de Paris, les trois parallélépipèdes de Renzo Piano, d’une hauteur de 160 mètres, à la porte de Clichy. Tout cela dans les vingt, trente dernières années.
Dans le 13e, où nul n’a pu suivre le changement radical de plus près que l’artiste Marie-Paule Feiereisen, notre compatriote devenue Parisienne, les choses ont commencé à bouger par le fait du prince, en l’occurrence du président Mitterrand, avec la bibliothèque, ses quatre tours-livres ouverts, et une hauteur encore toute modeste de 79 mètres, due à Dominique Perrault. Ce fut à la fin du siècle dernier, c’est loin déjà, mais l’impulsion était donnée, et jusqu’au périphérique, il y avait l’espace de quoi changer le quartier.
Points de repère désormais, depuis 2022, inévitables, immanquables, les tours Duo, de Jean Nouvel, à la pointe sud de l’avenue de France ; l’une fait 180, l’autre 122 mètres. Avec leur côté brinquebalant, dû aux façades inclinées, toutes différentes, mais ces inclinaisons vont jusqu’à cinq degrés, c’est plus que la tour de Pise. Heureusement, elles donnent néanmoins une impression de solidité, de stabilité, sans empêcher le jeu des reflets sur leur peau, véritable animation des environs.
Ces tours, comme il se doit, figurent en haut, placées quasiment au centre, sur la lithographie à multiples techniques réalisée par Marie-Paule Feiereisen (avec le photographe Philip Provily et le savoir technique de l’atelier Clot, Bramsen et Co). Le fond en est bleu clair, comme si l’on levait les yeux au ciel dans toute sa pureté, une ligne rouge qui part des tours descend à gauche et à droite, formant une sorte de cadre, ou alors disons qu’elle sert de quoi accrocher au bout, d’un côté comme un bas-relief, ou le dessin d’une sculpture avec ses lignes courbes, de l’autre une poutre de fer, plus rigide, qui balance, elle, horizontalement à peu près. Rapprochons ces deux images de l’art (et de sa liberté, de son invention) et de l’architecture (de ses contraintes, de sa rigueur nécessaire). En ajoutant de suite que les tours Duo semblent au plus haut point réunir ces caractères, pour donner aux colosses une légèreté bienvenue.
Toutefois, faites de béton, d’acier et de verre, les tours Duo n’ont pas pu échapper aux critiques, elles portent évidemment avec le plus de véhémence sur leur voracité énergétique. Pas le moindre espoir, dans notre temps des COPs successives pour fixer les objectifs climatiques mondiaux, de viser la neutralité carbone à quelque terme que ce soit. Ainsi, pour le Tribunal de Paris, sur les toits il se trouve 1 500 mètres carrés de panneaux photovoltaïques, mais ça ne fournit qu’un pauvre pour cent de la consommation.
Sur la poutre de la lithographie de Marie-Paule Feiereisen, en-dessous des tours Duo ayant subi la répulsion et la multiplication de l’opération artistique, on peut lire le proverbe qui dit « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Libre à nous d’interpréter la phrase, liberté donnée par l’artiste au regardant, le bel équilibre de l’œuvre n’en est pas atteint.