Norbert Ketter s’en est allé en 1997. Sa dernière exposition remontait à 1995 et s’appelait Ech heiren d’Schmelz net mei. Est-ce que les bruits, les odeurs, les couleurs rousses du feu des hauts-fourneaux dans la nuit, le noir des usines et le blanc du linge qui sèche de sa Minette natale (il était né à Dudelange en 1942 et vécut à Esch jusqu’à sa mort précoce à 55 ans) qui faisaient comme un arrière-fond silencieux à ses photos et avait marqué la manière d’être des gens simples du sud lui manquaient tant ? Cette absence était-elle pareille à une musique ?
Il semble l’avoir tant aimée comme le raconte son fils, à l’égal de la musique savante, à tel point que la musique de Sibelius l’amena à passer de longs séjours au pays du compositeur la Finlande entre 1963 et 1965. Des photographies de paysages, à la lumière et à la matière d’exception sur une nature sublime, aux cadrages parfaits des éléments rocheux, l’eau, le ciel. Ces photographies furent exposées chez nous et à l’étranger. Il écoutait aussi celle de Mahler, il y a moins mélancolique…
Norbert Ketter excellait également dans les portraits, travail auquel est consacré au Ratskeller Le studio de la vie. Les cartels qui accompagnent les photographies, disent peu de choses, mais ils sont comme une coulisse de « sa » Minette et surtout d’Esch, à laquelle Ketter consacra une publication en 1969. Les visages du studio de la vie, Françoise Poos, commissaire de l’exposition (on rappellera qu’elle est entre autre chercheuse dans le domaine de la culture visuelle), les a choisis parmi les tirages photographiques de Norbert Ketter conservés au Centre national de l’audiovisuel (CNA). La Banque et Caisse d’Épargne de l’État en compte aussi dans sa collection.
Il n’y a donc peu ou pas d’environnement, mais plus dans les tirages des années 1960 que des années 1970. Comme dans cette photographie où des femmes sont appuyées à la fenêtre dans les étages d’un immeuble 1900, comme avec le cadre verdoyant du Parc Laval ou encore l’allée principale du cimetière Saint-Joseph de Esch, où marchent trois retraités endimanchés et chapeautés. Ceci est une hypothèse et c’en est presque frustrant. Françoise Poos, en scientifique rigoureuse, n’a pas voulu « trahir » Ketter en donnant aux cartels d’autres mots que ceux du photographe lui-même. S’ils sont assez abscons, c’est que ce sont des titres de travail, car Ketter s’est donné la mort de manière volontaire, sans avoir eu le temps de faire un travail d’archivage. La famille n’a pas touché aux négatifs, rangés dans une armoire que l’on n’ouvre jamais, raconte Françoise Poos. Mais elle a consenti à ce que les tirages et la nomenclature utilisée par Ketter, soient conservés au CNA. C’est une partie de ces épreuves au géltino-bromure d’argent sur papier baryté contrecollé sur carton qui sont exposées ici.
Norbert Ketter a été l’élève favori de Otto Steinert à la Folkwangschule de Essen. Lui-même était autodidacte et il attachait la plus grande importance à la liberté d’expression de ses élèves. Ketter, a su voir les rides du labeur (les portraits d’ouvriers), la fierté du travail accompli (les retraités), mais aussi, le plaisir des loisirs de l’après Deuxième guerre mondiale. À Esch, il y avait les cafés et les dancings du quartier de la Grenz. L’ambiance de ce quartier à la frontière entre le Luxembourg et la France, ne peut être autrement ressentie que faisant partie des portraits. Mais très vite, dans les années 1970, l’époque change. On ne voit plus de vieilles dames comme celle en manteau noir, avec son parapluie en guise de canne marchant dans la rue où passent les ouvriers qui vont ou sortent de l’usine. Les couples d’anciens sont presque embourgeoisés, le confort dont ils jouissent semble les ennuyer à la terrasse où le soleil les réchauffe. La jeunesse elle change radicalement. Si l’Amérique de l’immédiate après-guerre a apporté la musique de juke-box et le milk-shake, le swinging London des années 1970, les Beatles, l’eye-liner et les jupes courtes à la Mary Quant. Les femmes se libèrent, comme cette jeune fille à la coiffure en choucroute et au regard frondeur. C’est elle sur l’affiche de l’exposition.
Mais la Minette de Ketter, celle de la sidérurgie va aller déclinante et lui connaîtra une rupture avec la photographie à laquelle il ne reviendra qu’en 1992 quand le CNA lui passera la commande pour Des Hommes et des images – Regards sur notre société multi-culturelle. Entre temps, à croire d’ailleurs que cette empathie est une marque de fabrique de la famille – comme un de ses frères – Norbert Ketter travaillera avec des personnes défavorisées. Bienveillance dirait-on aujourd’hui, quoi que voilée de tristesse. On le voit dans les yeux de ceux qui ont posé pour lui. Ils se sont livrés sans trahir leurs sentiments, leur affect. Les photographies des années 1990 sont plus « cliché » : les jeunes à la Schuberfouer, le marchand de champignons au marché (à Luxembourg cette fois), le mariage où la grand-mère, sans doute Portugaise, est là avec ses habits et son fichu noir. La vendeuse à la braderie a un tailleur aux épaulettes XXL et la coiffure des personnages de feuilletons télé, la foule de cette même braderie elle, a l’air d’une masse.
En ce sens, les photographies d’aujourd’hui sont très différentes. Le travail de Sophie Feyder, née d’un père luxembourgeois et d’une mère péruvienne, exposées en parallèle à celles de Ketter ont été réalisées dans le cadre d’une bourse du CNA.
On se souviendra que l’Asti fut à l’origine de ce projet en 2019 pour fêter son quarantième anniversaire (le Covid est passé par là et l’exposition a été reculée de deux ans). Les personnes qui ont posé sont entourés d’objets qui pourraient être des souvenirs d’où ils viennent. Ils vivent ici une double culture mélangée qui se voudrait ne pas être une rupture. Voici les moules à fabriquer la mozzarella luxembourgeoise autour de son créateur. Cette section de photographie contemporaine au Ratskeller a pour titre And they lived happily even after.