La faillite de la banque d’origine islandaise Landsbanki laisse derrière elle un terrain miné, non seulement pour les épargnants (le chanteur Enrico Macias et d’autres VIP risquent d’y perdre leurs villas sur la Côte d’Azur), mais aussi pour tous les salariés dont l’entreprise de plus de six personnes tombe en déconfiture. La liquidation, qui en principe met fin automatiquement aux contrats de travail, ne sera plus désormais un obstacle à la confection d’un plan social, ce sera même obligatoire comme le prévoient les directives européennes que le Luxembourg a mal transposées. Le gouvernement vient de se faire appeler Arthur par la Cour de justice de l’UE à ce sujet, suite précisément à une question préjudicielle de la Cour de cassation dans le cadre de la faillite de la banque Landsbanki à Luxembourg.
Le fait pour les salariés d’être couverts par un plan social, quoi qu’il advienne de leur entreprise, réduction ou cessation d’activité, est théoriquement une bonne nouvelle. Un plan social apporte souvent un plus par rapport au minimum prévu en cas de liquidation où s’applique pour eux le « superprivilège », qui leur permet de toucher la moitié du préavis et le mois de salaire de la survenance de la faillite. Le Fonds pour l’emploi prend les frais en charge, versés trois semaines après la liquidation dans le meilleur des cas et le plus souvent deux ou trois mois après. Cela dit, les négociations d’un plan social par les liquidateurs eux-mêmes risquent de compliquer la donne puisqu’elles feront entrer en scène des acteurs peu habituels et surtout peu familiers avec ce genre de transactions : les avocats prendront les habits de patrons et l’Administration de l’emploi donnera son imprimatur au plan que les premiers auront conclu avec les syndicats ou ce qui reste de la représentation du personnel.
L’arrêt du 3 mars dernier de la troisième chambre de la Cour de Justice européenne va donc obliger le gouvernement à revoir le système d’indemnisation des salariés victimes de faillites, la juridiction européenne l’ayant jugé non conforme à la réglementation européenne (lire par ailleurs). Et il ne faudra pas traîner à la besogne, au risque de rendre insoutenable le travail des juges du tribunal de commerce et surtout celui des avocats désignés liquidateurs dans les faillites. L’établissement de plans sociaux obligatoires, avec les charges financières qu’ils vont imposer et le surplus de travail qu’il impliquera, risque par ailleurs de peser lourdement sur le budget du Fonds pour l’emploi, déjà mis à rude épreuve avec la hausse du chômage et la prise en charge temporaire des chômeurs frontaliers par l’Administration de l’emploi (Adem).
« Nous sommes actuellement en train d’étudier l’arrêt et ses conséquences éventuelles sur nos textes (…) » : le ministère du Travail et de l’Emploi est tout juste en train de prendre la mesure de cet arrêt, mais juge encore prématuré d’avancer son jeu sur ce dossier. Il est en tout cas suffisamment « chaud » pour avoir mobilisé au sein du Conseil de l’ordre des avocats un groupe de travail ad hoc chargé de réfléchir à des solutions, sous la coordination de l’avocat spécialisé en droit du travail, Me Guy Castegnaro. Une première réunion pourrait intervenir dès la semaine prochaine avec des représentants de la magistrature, du ministère du Travail et de l’Adem.
« Il est un peu tôt pour en parler », assure à son tour Me Gaston Stein, le bâtonnier du Conseil de l’ordre des avocats. Ce qui semble sûr, à ses yeux, c’est qu’il faudra apporter des correctifs à la législation luxembourgeoise sur les licenciements collectifs et le droit des faillites : « J’ai l’impression que des changements législatifs s’imposent », avance-t-il prudemment, ajoutant qu’il serait « souhaitable aussi de réagir vite et bien » pour trouver « une solution pragmatique et viable ».
Les implications de cet arrêt Landsbanki dépassent le cadre du droit du travail. Ses conséquences financières sur le budget du Fonds pour l’emploi constituent l’un des volets cruciaux du dossier. Elles sont difficilement mesurables. Une chose est certaine: la plupart des entreprises déclarées en faillite laissent des caisses vides. Si les liquidateurs parviennent, par chance, à dégager des actifs, ils y arrivent rarement avant plusieurs semaines. D’où le rôle pivot que devrait jouer l’Administration de l’emploi dans les changements législatifs qui s’annoncent.
En attendant, les avocats spécialisés dans les faillites réservent leurs commentaires à plus tard, le temps de digérer l’impact pratique de cette décision de la juridiction européenne et d’attendre aussi la réaction du gouvernement et son degré d’ouverture aux changements. Le maintien du « superprivilège » devrait constituer l’un des volets le plus politiquement sensible de la réforme à prévoir : « Les salariés ne pourront pas ménager la chèvre et le choux, conserver à la fois le superprivilège et bénéficier d’un plan social », souligne Me Pierre Feltgen, l’un des rares avocats qui a osé s’exprimer sur cette affaire. Pour cet avocat spécialisé (par vocation dit-il) dans le droit des faillites, l’arrêt Landsbanki s’apparente à une « catastrophe », car, assure-t-il, « avec quoi réaliser un plan social si nous ne disposons pas d’argent pour le faire ? ».
Les faillites « jackpot », qui permettent de dégager au final plus de 25 000 euros d’actifs sont des cas aussi rares que courus par les avocats dans la sorte de loterie judiciaire qui les désigne curateurs. Il n’existe pas au grand-duché, à l’instar de ce qui se fait en Belgique, de « liste » des curateurs dans laquelle les magistrats des tribunaux de commerce piochent à tour de rôle, peu importe si la liquidation laisse ou non subodorer le jackpot pour l’élu ou le seul labeur (une liquidation est « forfaitisée » au minimum 1 000 euros pour l’avocat, qui ensuite peut soit se rémunérer sur un pourcentage des actifs récupérés, variant en fonction du montant recouvré, soit, dans les cas de banques, se faire payer un taux horaire, qui oscille entre 320 et 350 euros/heure). À Luxembourg, les tentatives pour « organiser » d’une manière moins aléatoire la désignation des curateurs n’ont jamais abouti, du fait sans doute que les avocats spécialisés en droit des faillites ne se soient jamais regroupés au sein d’une association, à l’instar de ce qui s’est fait pour les avocats pénalistes ou ceux qui se sont spécialisés dans le droit du travail.
En attendant qu’un nouveau cadre légal se mette en place, les curateurs de faillites sont dans une situation peu confortable, puisqu’ils sont maintenant tenus de négocier des plans sociaux dans les faillites des sociétés de sept salariés au moins et qu’ils sont obligés en même temps de respecter l’égalité des créanciers. Un arbitrage qui leur confère des responsabilités pour lesquelles ils ne sont ni formés, ni préparés. Et surtout qu’ils n’ont pas envie d’assumer, la liquidation de société étant un job parfois ingrat qui fait difficilement vivre son homme.
Faudra-t-il alors professionnaliser le métier de liquidateur ?