L’andouille ! Il a donc cédé son Lagura au Come prima, excellente maison au demeurant, mais nous privant du coup de sa fameuse andouillette, une des rares qu’on pouvait trouver dans le pays, et sûrement une des meilleures. Ah, ce « bas » morceau de charcutaille de Monsieur François ! Le croustillant du boyau grillée coalisait à merveille avec le moelleux du chaudin1 et le goût musqué s’alliait avec complicité à l’odeur virile pour rallier les suffrages des convives. Car, foi de feu Edouard Herriot, ancien maire de Lyon, il en est de l’andouillette comme de la politique : ça doit sentir la merde, mais pas trop. Elle ne plaît donc pas, paraît-il, aux enfants, aux femmes et aux étrangers. Et il est vrai que, hors de l’Hexagone et spécialement au luxueux bourg des bourgeois, les bouchers osent à peine afficher leur noble et prolétaire métier de tripier et de charcutier. Rabattons-nous donc sur L’adresse, bistrot on ne peut plus parisien de la rue Notre-Dame, qui met l’andouillette de chez Humbert à Metz à sa carte d’hiver.
Contrairement à l’andouille, qu’elle vienne de Vire ou de Guémené, l’andouillette n’est pas fumée. Elle est à la ficelle et estampillée AAAAA ou elle n’est pas. Les chaudins, taillés et mis en lanières, sont enroulés autour de la fameuse ficelle (estomac et intestins), puis introduit dans un boyau avant d’être cuit longuement dans un bain vinaigré, saumurisé et finement aromatisé. Dans sa composition le porc se taille la part du lion, si j’ose dire, mais, depuis la fin de l’hystérie autour de la vache folle, la fraise de veau est de nouveau admise. Les meilleurs spécimens reçoivent le prestigieux label des 5A, accordée pour une période de deux ans, par l’Association amicale des amateurs d’andouillettes authentiques, cofondée en 1950 par Robert Courtine qui, sous le pseudonyme de Grimod de la Reynière, mit autant de génie à collaborer à la rubrique gastronomique du Monde qu’il mit de bassesse à collaborer avec le régime de Pétain. À propos de régime : une andouillette simplement grillée n’affiche guère plus de 300 calories ce qui devrait la réconcilier avec la gente féminine.
Mais que reproche-t-on au juste aux amateurs d’andouillette et autres rognons ? D’être coprophages et ondinistes ? En fait, on les accuse de rien de moins que de confondre le plaisir de la viande avec les plaisirs de la chair et de vouloir retrouver les goûts et les odeurs « sales » du sexe dans l’assiette. Le proverbe allemand qui fait passer l’amour par l’estomac ne dit rien d’autre que ce va-et-vient entre le génital, l’anal et l’oral, entre sexualité et gastronomie, entre régression et sublimation. Et c’est ainsi que la Sainte Trinité de la bouche, du phallus et de l’anus invite au même banquet le divin marquis et l’exquis cuistot, le don Juan et le fin gourmand.
Mais laissons là les petites histoires de la psychanalyse pour les grandes histoires des rois. Car l’andouillette est à Troyes ce que Hélène fut à Troie. Et cette Guerre de Troyes a bien eu lieu en 1560 : les troupes royales, après avoir occupé la capitale de l’Aube tenue par le duc de Guise, s’occupaient trop ensuite des andouillettes et se firent allègrement massacrer par l’armée des Ligueurs. Comme quoi, il est bien vrai que tout est bon dans le cochon qui prend toujours le parti des humbles contre les rois. Souvenez-vous du pauvre Louis XVI qui, dans sa fuite, s’est fait pincer par les troupes révolutionnaires alors qu’il goûtait le pied de cochon à Sainte-Menehould. Et voilà comment le pied de porc a eu raison de la tête du roi. Cochon qui s’en dédit !
Revenons maintenant à nos moutons qui, dans certaines régions viennent, abreuver de leur sang impur nos andouillettes. De quoi justement faut-il l’arroser, ce divin mets ? D’un vin rouge léger, populaire, voire parfois même un brin populiste, bien évidemment ! Quoi de meilleur en effet que de tremper son andouillette dans une fillette2 de beaujolais ?
Alors, cher lecteur gourmand et gourmet, qu’attends-tu pour signer la pétition invitant le nouveau propriétaire de l’ancien Lagura à remettre sur sa carte l’andouillette AAAAA, dont le label vaut bien mieux que tous les triple A de toutes les agences de notation du monde.