Plus qu’ailleurs dans le monde de l’art luxembourgeois, Dudelange est le lieu où l’on célèbre le mieux la journée, et, par extension, le mois de la femme. Alors occasion événementielle ou véritable engagement, difficile de trancher sans enquête ultérieure menée auprès des décideurs. Mais là n’est pas la question, surtout quand le résultat est à la hauteur : ce n’est jamais à la légère qu’on entreprend le pèlerinage vers Dudelange.
La femme du mois au centre d’art Dominique Lang s’appelle Tessy Bauer. Elle n’est pas encore trentenaire, est luxembourgeoise, vit et travaille « entre Luxembourg et Bruxelles », et inaugure ici sa toute première exposition monographique au Luxembourg, même si on a déjà pu apercevoir son travail à trois reprises en 2009 (l’édition annuelle des Sentiers Rouges, un workshop du Casino et une publication du Cid-Femmes). Ce premier rassemblement d’oeuvres est curieusement baptisé Les amis de la banane, ce qui donne le ton. Pop les couleurs, pop la rapidité de lecture des messages, pop le traitement des sujets qui, graves ou légers, revêtent toujours un aspect enjoué. Difficile de ne pas évoquer le patronage lointain d’un Andy Warhol pas oublié. À commencer par la banane en tête de gondole, celle qui accueille le passant qui franchit la porte. Elle est certes revisitée et corrigée, agrémentée d’une série d’élastiques à cheveux ornés de grosses boules de plastique, mais impossible de ne pas évoquer sa congénère qui ornait sobrement un célèbre album des Velvet Underground.
Cette première exposition en solo au Luxembourg rassemble un florilège d’œuvres réalisées depuis 2003 par cette jeune artiste agrégée en Arts plastiques à La Cambre de Bruxelles. Photographie, peinture, sculpture, installations et performances, Tessy Bauer semble ne dédaigner aucun support, tant est grande sa soif de communication. À l’instar des curieux hybrides de latex disposés sur une table à l’étage (« s.h.n.m – sexualité, hygiène, nourriture, maladie », 2004), des objets à taille manuelle que l’on peut manipuler, elle recherche l’interaction avec son public. Ses créations s’adressent directement à lui, et la réaction de ses visiteurs fait partie intégrante de son travail. L’un de ses travaux (J’ai tué la bête, 2007) prévoit même une fiche de commande à remplir au cas où l’un ou l’autre visiteur souhaiterait avoir une réplique de son véhicule en « trophée de chasse », réduit à la double dimension. Plusieurs performances de l’artiste, mentionnées dans le catalogue, supposaient ainsi une implication directe du visiteur, comme la nappe à trous (Le cercle, 2007) ou les accessoires proposés à l’essayage de What is your secret superpower ? (2009), lors du workshop au Casino susmentionné. Tout se passe comme si Tessy Bauer partait en quête de l’autre et qu’elle tentait de le séduire par tous les moyens.
Car une autre constante de son travail est la sensualité. L’artiste joue constamment avec au moins trois des cinq sens. La vue, qu’elle accroche avec des coloris éclatants et des sujets gourmands. Le toucher, avec les matières invitantes qu’elle choisit d’employer (cuir, tricot, latex, pâte à modeler émaillée…). Et le goût qu’elle a notamment titillé lors des performances Buffet surprise – à voir et à manger (2008) effectuée au printemps des musées à Tournai et Le cercle (2007). Restent l’ouïe et l’odorat, expériences qu’elle tentera peut-être un jour. Ses légumes ont beau être dénaturés, ils n’en sont pas moins joliment apprêtés (Aliments déguisés, photographies, 2003-9). Toute la série Eis eis baby – les amis de la banane (2010) consiste en médailles et en trophées anonymes transformés en appétissantes coupes de glaces acidulées ou en décorations de chocolat.
Alors bien sûr le message semble plus être un prétexte au traitement du sujet, le fond au service de la forme en quelque sorte. Un manque de profondeur qui rend l’ensemble de l’exposition très comestible et surtout particulièrement digeste. Les deux Objets de suicide (2006 et 2008) par exemple, sont difficiles à prendre au sérieux, que ce soit la bouée-pouf canard en cuir ou la corde de pendaison en laine jaune fluo tricotée et son tabouret assorti. On est loin de l’impression que donnent les œuvres également très sensuelles et féminines d’une Louise Bourgeois.
Il faut reconnaître à Tessy Bauer un grand sens de l’esthétique et la maîtrise des codes visuels de notre société. Elle sait précisément mettre en scène ses créations et ne s’en prive pas. Sa « faim » d’originalité n’est pas subversive, au contraire : elle est consensuelle même si elle est extravagante. Par bien des détails, son travail révèle en outre l’identité féminine très forte de l’artiste. De l’aspect mignon qu’elle donne à ses objets détournés au petit sac d’épicerie en papier brun au logo « les amis de la banane » qui contient le catalogue de l’exposition. C’était la moindre des choses pour le mois de la femme.