Il y a la chanson qui veut que noir, ce soit définitivement noir, et plus d’espoir ; c’est ne pas compter avec Pierre Soulages où le noir, ou ce qu’il appelle joliment l’outre-noir, devient source de lumière. Et quelle force dans la peinture d’un artiste qui le 24 décembre dernier a fêté ses cent ans, le Louvre et le Musée national d’art moderne, au Centre Pompidou, s’y associant, chacun à sa manière. Deux expositions, de taille réduite, certes, mais si au Louvre elle tient tant soit peu de la rétrospective, au Centre Pompidou elle se fait en regard de Pierrette Bloch, artiste et amie de longue date des Soulages, et son legs de cinq œuvres sur toile, et deux sur papier, toutes des années 1950.
Le lieu, au Louvre, est prestigieux, et les dorures au plafond sont impressionnantes, mais le noir de Pierre Soulages n’en éclate que mieux. Il faut commencer, toutefois, par trouver le chemin du Salon carré, dans l’aile Denon, premier étage, à l’extrémité orientale de la Grande Galerie et de ses madchines picturales. Aménagé par Le Vau à la suite de l’incendie de 1661, le Salon Carré a été longtemps une salle d’exposition temporaire pour les artistes vivants, avant qu’on n’y présente l’école de peinture italienne du XIIe au XVe siècle. Retour à l’origine donc avec la trentaine de Soulages accrochés aujourd’hui, le Louvre ouvert à la création contemporaine, même si l’on imagine facilement que le dialogue, ou la confrontation, aurait pu se faire, comme pour d’autres artistes, de Twombly à Kiefer, avec les résidents habituels du musée.
Cette interaction se serait presque imposée, quand on sait par exemple la fascination que l’art rupestre exerce sur l’artiste. Elle n’est d’ailleurs pas l’exception, prenons seulement les vitraux, blancs ceux-là, qu’il a créés pour l’abbatiale de Conques. La lumière toujours dans cette union de l’art roman et de l’art abstrait, dans cette étape dans l’Aveyron, avant la visite du Musée Soulages, à Rodez, la ville natale de l’artiste.
Il est une anecdote que Pierre Soulages aime à raconter, comment enfant, à qui l’on avait donné une boîte de couleurs, il n’avait racé que des lignes noires sur sa feuilles blanches ; et répondu aux grandes personnes qui lui demandaient ce que cela représentait, de la neige, simplement. Une attraction, un amour, qui n’ont jamais cessé, bien que Pierre Soulages, à tels moments, ne se soit pas interdit les couleurs ; on dira aussi du Brou de noix (avec le colorant naturel de l’écorce), qui date de 1946 et ouvre l’exposition du Louvre, avec sa teinte plus chaude, qu’il révèle d’autres lumières, pâles, fragiles.
À l’opposé, on n’est plus alors dans le diaphane, le translucide, tel diptyque, imposant, majestueux, dans sa rigueur géométrique et l’opposition radicale des entailles : à chaque panneau, une seule, l’une toute droite, l’autre oblique, les deux fois contrastant, en sens inverse et dans l’opposition du mat et du brillant, avec le fond de la toile. Vigueur extrême de la peinture de Pierre Soulages, atténuée justement par le jeu de la lumière ; et un dialogue a quand même lieu, il se fait au Centre Pompidou, avec cet autre noir, de Pierrette Bloch, trace, ligne, et le rythme qui s’établit.