Une grande flexibilité des conditions de travail est un atout que l’imaginaire collectif associe volontiers avec la notion de start-up. C’est en tous cas une des clés du succès selon Yoann Jagoury, qui l’applique au quotidien chez Alto Advisory, la société qu’il a fondée en 2009 à Luxembourg. Ingénieur issu de Centrale Lyon, il s’installe à Luxembourg en 2001, après une expérience de plusieurs années dans le développement d’algorithmes de trading en salles de marchés à Francfort. Ce passionné de logiciels depuis l’adolescence travaille tout d’abord pour plusieurs sociétés spécialisées dans l’édition de logiciels et le conseil pour l’industrie des fonds d’investissement, puis c’est en voyant arriver la fin de la crise de 2008 qu’il se décide à voler de ses propres ailes ; une décision confortée par ses expériences au sein d’autres petites structures, qui ont décomplexé l’entrepreneur en devenir.
Alto Advisory s’est tout d’abord dédiée au conseil auprès du métier des fonds d’investissement afin de mettre en place des solutions logicielles, mais la start-up a rapidement su adapter son activité à l’évolution du secteur financier, notamment concernant les nouvelles directives pour les gestionnaires de fonds alternatifs (AIFMD) et les fonds d’investissement grand public (UCITS), et a ainsi lancé, par exemple en 2013, une solution de suivi de liquidités, répondant ainsi à un besoin règlementaire spécifique. C’est le changement réglementaire qui sert de locomotive dans le modèle d’affaires d’Alto Advisory, forçant les clients à s’adapter en utilisant les outils de contrôle adéquats. Contrairement au processus à l’opposée du panel Fintech – par exemple dans le domaine des crypto-monnaies, où le régulateur suit la tendance en essayant d’accommoder et de faire rentrer les nouvelles pratiques dans le cadre légal.
L’activité principale d'Alto Advisory reste cependant encore le développement d’applications business de manière plus générale pour l’industrie des fonds, industrie que Yoann Jagoury connait et dont il sait identifier les besoins grâce à sa formation, ses expériences passées et son activité de conseil : « Nous savons parler à la fois aux équipes métier et aux équipes IT, une double casquette aussi importante que rare pour cette niche ». Ayant constaté une certaine inertie dans le milieu bancaire, il a fait le choix d’y répondre par la réactivité. En effet, un vrai focus est mis sur l’expérience utilisateur et le déploiement des solutions, le but étant de minimiser au maximum les barrières éventuelles à utiliser un outil. C’est ainsi qu’Alto Advisory parvient, selon son créateur, à fournir à ses clients dépositaires de fonds des outils à la fois efficaces et efficients, dans un environnement actuel de changement de réglementations.
La société complète son offre en proposant des services originaux à sa clientèle, notamment en termes d’analyse de données, et même si son fondateur se refuse à utiliser le terme de big data pour le moment, le concept n’existant pas encore dans l’industrie des fonds selon lui, il est certain qu’il y a beaucoup à faire concernant ce type d’analyses. Quant au conseil, il reste toujours aussi important et garde son rôle initial de financier de la société : « Le conseil n’est pas une activité intensive en capital et nous a ainsi permis de financer le développement de notre structure et de nos produits ». C’est en effet avec cette vision pragmatique et opérationnelle que Yoann Jagoury, peu enclin à avoir recours à des grands prêts et développer des solutions sur des périodes très longues, a réussi à faire rapidement d’Alto Advisory un acteur indépendant sur la place luxembourgeoise. Un acteur qui résiste face à sa plus grande concurrence : les développements de solutions internes au sein même des dépositaires de fonds d’investissements, encore bien présents sur le marché bien que plus lourds, plus chers et n’offrant pas la gamme de services connexes et novateurs que peut proposer un acteur externe dont la vision ne se restreindrait pas à un seul acteur, mais engloberait une part bien plus grande du marché des fonds d'investissements.
Pour ce faire, Yoann s’est entouré d’une équipe de trois collaborateurs et de quelques freelances pour la partie logiciels à qui il offre, des conditions de travail très flexibles, conditions qu’il s’applique également à lui-même. En effet, l’entrepreneur met un point d’honneur à pouvoir conjuguer vie professionnelle et vie privée, et son inclinaison certaine pour le télétravail lui permet de dénicher et d’attirer des profils expérimentés, déjà formés et donc vite opérationnels, ce qui représente un véritable atout dans une course aux talents globale. Et même si, selon lui, des profils techniques intéressants commencent à apparaître à Luxembourg, plus précisément à l’Université du Luxembourg, le fait que « le Luxembourg soit un pays très ouvert aux talents étrangers reste une véritable force ». Il déplore cependant la concurrence très rude des grandes banques, chez qui un certain nombre de recrues potentielles préfèrent aller ou rester…
Sur la question de la communauté Fintech à Luxembourg, Yoann Jagoury s’enthousiasme quant à l’émergence d’événements d’envergure dédiés au secteur, ce qui permet de rencontrer les différents acteurs, les décisionnaires et plus généralement les différentes personnes qui ont un intérêt dans le développement des activités Fintech. Il est cependant convaincu que chaque entreprise ou start-up doit avant tout se focaliser sur sa propre activité, faire appel aux meilleurs spécialistes pour chacun de ses besoins et éviter le communautarisme excessif : « Nous avons des produits qui fonctionnent bien, en fait nous avons toujours eu besoin d’un accélérateur plus que d’un incubateur ». Une stratégie qui semble bien fonctionner jusque-là, Alto Advisory étant en pleine phase de croissance avec des nouveaux challenges à relever : d’abord augmenter ses parts de marché sur ses produits existants, notamment pour sa solution de cash monitoring avec l’arrivée de la règlementation UCITS V, qui va créer toujours plus de besoin en termes de contrôle, mais également développer de nouveaux produits pour étendre l’éventail de sa clientèle tout en restant dans le marché des fonds d’investissement.
Et Luxembourg reste une place de choix pour ce développement : Alto Advisory a su y trouver une base clientèle solide – la masse de promoteurs de fonds d’investissements gérant un volume de 3 000 milliards d’euros d’actifs et les banques dépositaires à leur service. Yoann Jagoury compte ainsi parmi ses clients quelques-uns des plus gros dépositaires de fonds européens qui ont éprouvé son savoir-faire depuis plusieurs années, ce qui le rassure quant à ses objectifs de croissance. Et même si pour ce type de développement, Luxembourg n’est, selon lui, pas un écosystème proche du mythe que l’on peut voir dans la Silicon Valley par exemple, ce n’est qu’une question de temps avant que le Grand-Duché ne devienne une place forte, à la hauteur de ses homologues mondiales : « Il y a du capital et de grands acteurs présents, il ne reste à Luxembourg qu’à trouver son propre modèle ».