Les négociations entre Commission, Parlement et Conseil – ce qu’on nomme dans le jargon communautaire les trilogues – vont pouvoir démarrer sur un dossier sensible : celui de la réforme de l’audit. Les députés européens ont adopté le 25 avril, en commission parlementaire des affaires juridiques (JURI), un rapport qui atténue tant soit peu la portée des contraintes pour les plus grands cabinets d’audit (dits les Big four : Deloitte, Ernst & Young, KPMG et PWC) que voulait la Commission européenne. De justesse – par quinze voix pour et dix contre –, ils ont donné tout de même un mandat au rapporteur Sajjad Karim (ECR, Royaume-Uni) pour entamer les pourparlers très vite sur ce paquet législatif que la présidence tournante du conseil des ministres, pour l’instant irlandaise, espère boucler avant son terme, le 30 juin prochain.
Ce qui parait très ambitieux au regard des sujets sensibles concernés, les parlementaires ayant mis plus de six mois pour trouver des amendements de compromis qui en définitive n’ont pas été adoptés, du fait de leur rejet par les socialistes, les Verts et la gauche radicale, vent debout contre un texte qu’ils trouvent trop édulcoré. La Commission va sûrement réagir aux substantielles modifications de son texte initial. Le Conseil va quant à lui clarifier sa position lors de la réunion des ministres de la compétitivité, le 29 mai prochain, mais plusieurs États se sont d’emblée déclarés plus proches de la Commission que du Parlement.
La réforme du secteur de l’audit entend en garantir l’indépendance, et le développement d’un marché plus intégré et moins concentré, en vue de restaurer une information financière fiable. Le secteur a en effet été passablement attaqué à cause des disfonctionnements qui n’ont pas permis aux investisseurs d’être avertis à temps de faillites bancaires durant la crise financière. Un consensus s’était dégagé au sein de l’UE sur la nécessité de réduire le risque de conflit d’intérêts et d’améliorer la qualité des certifications des comptes financiers. Sur base de rapports d’initiatives du Parlement et du Comité économique et social, entre autres, la Commission européenne a présentée le 30 novembre 2011, un paquet législatif comprenant des modifications de la directive de 2006 sur les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés (2006/43/CE) ainsi qu’un nouveau règlement sur le contrôle des comptes des entités d’intérêt public (EIP), ces grosses entreprises cotées en bourse, les banques et les compagnies d’assurances dont la taille requiert des règles plus strictes.
Une des mesures phares de ce projet de règlement est la mise en place de l’obligation de rotation des cabinets d’audit pour éviter la familiarité qui peut s’installer quand la même firme contrôle trop logtemps un même EIP. La Commission l’avait imposée au bout de six ans, avec quelques exceptions et une possibilité d’aller jusqu’à à neuf ans, si plusieurs auditeurs sont nommés. Les députés quant à eux ont étendu ce délai à 14 ans avec une prorogation à 25 ans par les États membres en cas d’audit conjoint ou d’appel d’offre public ou d’évaluation complète par le comité d’audit.
Un délai trop long, qui vide l’obligation de sa substance pour les socialistes. Business Europe, la fédération patronale européenne, qui représente aussi les entreprises clientes des auditeurs applaudit quant à elle l’« approche raisonnable » des députés, tout comme la Fédération européenne des experts comptables, qui estime que la période de six ans de la Commission « était contre-productive et impraticable ».
Pour les grands cabinets d’audit, c’est une demi victoire, car ils espéraient que le principe serait purement et simplement éliminé arguant qu’« qu’aucune étude ou expérience n’avait prouvé sa pertinence ». En revanche, les cabinets de taille intermédiaire, réunis dans le collectif Option Initiatives Audit (représentant près de 200 cabinets), se félicitent de ce maintien de la rotation.
Ils déplorent par contre que le recours à l’audit conjoint pour les EIP ne soit pas obligatoire, mais seulement encouragé, les députés s’étant rallié à la position de la Commission. Le commissaire Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services financiers, voulait imposer qu’un Big four s’adjoigne dans ce cas les services d’un cabinet dont la part de marché est inférieure à quinze pour cent, mais il a dû reculer sous la pression des autres commissaires.
Autre point sensible des négociations au Parlement, mais aussi des trilogues à venir, l’interdiction faite par le règlement aux gros cabinets réalisant plus d’un tiers de leurs revenus auprès d’EIP de fournir de services non-audit en même temps que ceux d’audit. Cette mesure instaurée par la Commission pour éviter les conflits d’intérêt et des tarifs artificiellement bas sur la partie audit qui seraient compensés par la fourniture d’autres services mieux rémunérés, a été supprimée par les eurodéputés. Ils se sont contentés d’établir une liste noire des services non-audit calquée sur les standards internationaux d’éthique. Par exemple, les cabinets d’audit pourraient continuer de fournir les certifications concernant le respect des exigences fiscales, mais ne pourraient plus fournir des services de conseils fiscaux qui touchent directement les déclarations financières de l’entreprise.
En revanche, le renforcement du rôle du comité d’audit semble un point plutôt consensuel pour les négociations finales entre les trois institutions, même si le fait qu’un seul membre (au lieu de deux pour la Commission) ne soit obligé d’avoir une formation en audit et/ou en comptabilité. De même que l’interdiction des clauses contractuelles des « Big four seulement », qui exigent que l’audit des EIP soit réalisé par l’une d’entre eux. Un accord semble aussi possible sur l’obligation faite aux auditeurs de fournir aux parties prenantes et aux investisseurs un document détaillé reprenant toutes les actions de l’auditeur et assurant, de manière globale, la précision des comptes de l’entreprise.