Centre de retention

Between nowhere and goodbye

d'Lëtzebuerger Land vom 31.03.2005

«Nous sommes actuellement face à deux urgences,» estime le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l'Immigration, Nicolas Schmit (LSAP). D'une part, la prison de Schrassig, dans laquelle une soixantaine de personnes en situation irrégulière, sans papiers ou en attente d'expulsion, sont actuellement retenues, est désespérément surchargée, la situation des détenus et du personnel surveillant y est de plus en plus difficile. Et de l'autre, «il y a des personnes que nous ne voulons plus laisser dans la rue,» explique le ministre. Depuis des années, le Luxembourg se fait taper sur les doigts par tous les rapports d'ONG et d'instances internationales de protection des droits de l'homme parce que les demandeurs d'asile déboutés et autres étrangers en situation irrégulière sont placés en prison et donc en contact avec des criminels de droit commun - alors que les premiers n'ont pas commis de crime. La décision, par le conseil des ministres vendredi dernier, de construire un «centre de séjour provisoire» avec une capacité de 150 personnes au Findel, devrait donc répondre à un certain nombre d'attentes aussi bien du côté de l'État que de celui des ONG. Or, ces dernières restent très circonspectes. Dans un avis datant du 13 janvier de cette année que leur a commandé le gouvernement, les associations et organismes réunis dans le Collectif réfugiés (Lëtzebuerger Flüchtlingsrot, LFR) rappellent qu'il ne faut recourir à la rétention qu'en cas de «stricte nécessité». Et que, malgré la privation de liberté opérée, un tel centre n'est pas une prison et qu'il est indispensable de définir la base légale des conditions de rétention, comprenant notamment les droits des retenus (contacts avec l'extérieur, par exemple leur avocat, les ONG, leur famille, information quant à leurs droits, etc.). En outre, le LFR insiste sur l'importance d'un encadrement par un personnel formé pour répondre aux situations personnelles et à la détresse des personnes retenues. Dans le projet de loi «relatif au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection» (n°5437), actuellement en cours de discussion à la Chambre des députés, l'article 10 définit uniquement que «le demandeur peut, sur décision du ministre, être placé dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois», la durée pouvant être reconduite trois fois un mois pour une durée totale de six mois au grand maximum. Or, il ne faut pas se leurrer : un centre de rétention n'est pas une colonie de vacances. Les exemples à l'étranger - dont Nicolas Schmit en a visité un certain nombre, notamment à Rotterdam -, sont plutôt choquants : des camps de containers encerclés par de hautes clôtures qui se terminent par du fil de fer barbelé, de véritables camps - le terme  allemand «Abschiebelager»en dit bien la brutalité. Le camp luxembourgeois sera construit au Findel, sur un terrain en face du complexe aéroportuaire, appartenant déjà à l'État. Selon les estimations de Jean Asselborn (LSAP), le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, interrogé mardi par RTL, le complexe pourrait être prêt dans un an. Le concept adopté par le conseil des ministres prévoit 150 places en tout - et on craint que cette possibilité de presque tripler le nombre de rétentions par rapport à la situation actuelle ne demande qu'à être appliquée. Selon Nicolas Schmit, le gouvernement tient compte d'un certain nombre de revendications des ONG, en prévoyant entre autres l'engagement d'un responsable à formation psychologique ou sociale. La surveillance toutefois pourra être outsourcée, donc assurée par une société de surveillance privée, comme c'est déjà le cas dans un certain nombre de foyers pour demandeurs d'asile. Toutefois, la détresse de personnes qui attendent pendant des jours, voire des semaines ou des mois, d'être expulsées vers leur pays d'origine - alors qu'elles ont tout fait pour le quitter -, et l'assurance de leur plein droit risquent de demander un autre encadrement et une autre sensibilité que la seule surveillance de la sécurité ou des entrées ou sorties. «Encadrer ces personnes est autre chose que de les surveiller,» résume Serge Kollwelter de l'Asti. Le gouvernement luxembourgeois a deux problèmes : d'une part, tout en assurant à qui veut l'entendre, son attachement aux principes de l'État de droit, il voudrait faire passer le message que le pays n'est plus le pays de cocagne pour lequel des réseaux d'immigration illégale semblent le vendre : alors que dans les pays voisins, le nombre de demandes d'asile est en régression, ils continue à être d'un niveau très élevé au Luxembourg. Un camp de rétention est aussi un signal de découragement fort en direction des potentiels immigrants, légaux ou illégaux. Au cours des deux dernières années, la population de demandeurs d'asile a changé : après les familles avec enfants en provenance des Balkans en guerre au tournant du siècle, ce sont aujourd'hui avant tout des célibataires africains qui posent une telle demande. Sur les 1 577 personnes qui ont introduit un dossier, 848 - ou 54 pour cent - étaient d'origine africaine, majoritairement du Nigeria. Comme la police lutte depuis plusieurs mois contre un réseau de trafic de drogues dont les principaux émissaires sont d'origine africaine, l'amalgame «demandeur d'asile africain = trafiquant de drogue» était vite fait. Or, si les demandeurs d'asile ont les mêmes droits - et obligations - que les ressortissants luxembourgeois, un trafiquant de drogue devrait être jugé devant les mêmes juridictions de droit commun que tous les autres citoyens. Mais, vu les techniques utilisées par certains dealers pour ne pas encourir de trop lourdes peines - par exemple en ne transportant que de très petites quantités à la fois -, qui, une fois sortis de prison, risqueraient de récidiver, Nicolas Schmit est catégorique : «ces gens-là, il faut les éloigner de la rue, ils vont attendre la fin de leur procédure dans le centre de rétention ! Sur ce point-là, je suis impitoyable.» Le deuxième problème est que, pour expulser les demandeurs d'asile déboutés et les sans papiers vers leur pays d'origine, il faut que leur identité soit clairement établie - ce qui est souvent difficile, comme les demandeurs brouillent les pistes pour augmenter leurs chances de pouvoir rester. Et il faut que le Luxembourg dispose des autorisations nécessaires de la part du pays d'origine. Or, «il est souvent difficile de négocier les accords de réadmissions avec des pays africains,» dit Nicolas Schmit. En 2004, seules 82 personnes se sont vues accorder le statut de réfugié selon la convention de Genève ; 770 personnes ont été déboutées, 613 personnes ont été expulsées vers le premier pays d'entrée en Europe, selon l'accord de Dublin, 381 personnes ont été expulsées - dont seules neuf le furent vers le Nigeria, la majorité (202) étant reparties vers le Monténégro. S'affirmant ferme et décidé pour lutter contre le détournement de la procédure de demande d'asile à des fins criminelles, le ministre délégué  souligne aussi qu'il faut «garder un regard humanitaire» dans le traitement de ce dossier. On ne pourra mesurer toute la portée de cette volonté affichée que lorsque les conditions exactes d'exploitation du camp de rétention seront connues.

 

josée hansen
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